Chapitre 19 : Hochement de tête

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   Nous courions à en perdre haleine, j'avais les jambes lourdes, les talons douloureux, les cuisses brûlantes. Mon souffle manquait et la fatigue se manifestait. Je courais sans m'arrêter, ayant devant moi le visage d'Arthur qui apparaissait chaque fois que mes paupières se fermaient. Je secouais la tête, nous pour oublier son souvenir car je ne voudrais jamais l'oublier, mais pour le placer dans un coin de mon esprit.

   C'est au bout de la septième station que nous décidions de nous arrêter. J'étais monté sur le muret, mes mains sur mes genoux, le dos voûté et les yeux baissés sur les rails, reprenant mon souffle. Nathan s'était assis sur un banc, le dos droit, les yeux dans le vide. Je le rejoignis assis à côté de lui, mes coudes sur mes genoux et ayant repris une respiration régulière et riche. Il tourna son visage vers moi et plongea ses yeux dans les miens. Je ne savais pas quoi dire, je ne pensais pas que j'avais besoin de dire quelque chose. Il n'y avait rien à dire. Et, comme pour réponse, il me tapota amicalement le dos avant de se lever.

   Je le suivis et rejoignis Gaël. Il avait les bras croisés et regardait en face de lui, là où gisait d'autres cadavres.

-On ferait bien de remonter en haut, on va finir par vomir.

   Une fois à la surface j'inspirais un grand coup. Tout le monde avait disparu : il n'y avait personne. Il n'y avait toujours personne.

   Nathan et moi regardions le chef du Clan, nous savions qu'il avait quelque chose à nous dire. L'adolescent nous déclara :

-Ce n'est plus pareil une fois que l'on est mordu.

   Je le regardais, Nathan également.

-Je ne sais pas si cela le fait également pour ceux aux yeux marron mais pour les yeux bleus et verts tout change. C'est...horrible. Il est impossible d'oublier, impossible. La mort y est même parfois préférable que de continuer à vivre avec ces marques et cette expérience. On ne peut rien deviner quand on ne l'a pas vécu, on ne sait pas tant que l'on n'a pas été victime de ce poison. Il faut respecter les choix de chacun. Et les comprendre, si toute fois cela est possible.

-Si tu veux parler d'Arthur, tu..., intervient Nathan.

-Je m'en vais, le coupa Gaël.

-Quoi ? , laissa échapper mon ami.

-Je pars. Il faut que j'y aille. Je ne peux ni ne veux continuer ce chemin. Je dois partir.

-Mais...

-Je le dois. Ce n'est pas de votre faute, c'est comme ça, on n'y peut rien, ça ne se décide pas.

-Mais Gaël c'est...

-C'est décidé. Je pars.

   Il me regarda et, pour lui donner mon opinion, j'hochais silencieusement la tête. J'étais d'accord et je le comprenais. Je me souvenais de notre discussion dans les égouts. Gaël devait retrouver sa petite sœur, le bon moment était arrivé pour partir à sa recherche. Nous avions chacun notre but, notre objectif, notre quête. Je devais respecter son choix et c'est ce que j'allais faire.

   Gaël serra solennellement la main de Nathan, puis la mienne. Il commençait à partir. Je secouais la tête, après tout je ne saurais jamais si je ne lui demandais pas maintenant. Je le rattrapais alors :

-Hé Gaël !

   Il se retourna face à moi.

-Ne me fait pas croire que je te manque déjà.

   Je ne relevais pas sa plaisanterie et préféra lui demander :

-Comment s'appelle-t-elle ?

   Un petit sourire venait de naître sur son visage :

-Sophie, déclara-t-il simplement.

   Il me regardait dans les yeux, croisant ses bras comme à son habitude, et ne laissa pas tomber son petit sourire naissant. J'hochais la tête, souriant tout aussi discrètement. Il n'y avait plus rien à dire.

-A bientôt j'espère.

-Je ne peux rien te promettre mais ce serait bien, je suis d'accord.

   Il me tendit la main que je serrais précieusement. Je me retournais pour le laisser partir, et revins vers Nathan qui me regardait curieusement.

-Pourquoi tu l'as laissé partir ?

-Il faut comprendre et respecter, donnais-je comme réponse en regardant comme Nathan, Gaël qui partait.

   Mon ami ne rajouta rien et commença à faire demi-tour. Je le suivis sans attendre, partant chez moi, à la surface. Gaël était partit mener ce pourquoi il continuait de vivre. Je savais qu'il ne mettrait pas fin à ses jours, malgré sa morsure, car il devait retrouver Sophie, c'était à présent le plus important à ses yeux. Et je me rendis compte, seulement quand il fut partit, que Gaël était devenu peu à peu mon ami.

   Le soir arrivait doucement. C'était la première fois que j'observais la lune après la Catastrophe, même si elle était entrecoupée par les éternels nuages gris.

-On dort dans une maison ? , proposais-je.

-Ouais.

   Je voyais bien qu'il n'allait pas bien. C'est moi qui préparais à manger une fois que l'on fut installé. J'apportais les deux assiettes de riz alors qu'il était assis sur le canapé. Ses yeux étaient perdu dans l'espace, ses pensées voyageant dans son esprit, des souvenirs persistants qui ne voulaient pas fuir, même provisoirement. Je m'assis à ses côtés.

-Ah merci.

   Il mangeait machinalement, ne se rendant pas compte de la brûlure de ce plat. Il n'avait pas versé une seule larme, il ne réalisait véritablement sûrement que maintenant.

-Tu l'aimais ?

   J'avais osé poser la question. Mais aucune réponse ne rendait l'écho à ma parole. Je décidais de ne pas insister, le laisser tranquille un moment. Je faisais la vaisselle, pensant également, réalisant tout ce qu'il c'était passé mais ne pouvant pleurer. Plusieurs longues secondes s'écoulèrent avant que je ne me rende compte que Nathan était venu m'aider. Il finit par me regarder dans les yeux, immobile. Je ne bougeais pas, attendant que quelque chose se passe. L'adolescent, cet adolescent aux yeux marron, mon tout premier ami après la Catastrophe, celui à qui j'avais donné ma confiance en premier, me déclara enfin :

-Oui. Mais c'est toujours le cas... Je suis toujours amoureux d'Arthur.

   Je n'étais pas surprise, je le savais depuis longtemps et cela me brisait le cœur qu'ils n'ai pas pu vivre ensemble.

-Je n'ai jamais pu lui avouer. Il s'est sacrifié pour nous sauver, tu sais ce que ça veut dire Twill ? Ça veut dire qu'il nous pense capable de mettre fin à ce massacre, ça veut dire qu'il croyait en nous. Nous devons réussir : pour Arthur.

-Et j'en suis tout à fait d'accord.

-Alors réglons-lui son compte à cette fichu ombre, faisons-lui payer.

   Je ne savais pas quoi ajouter, je ne pouvais rien dire de plus. Je vis une larme rouler sur sa joue et je n'attendis pas une seconde de plus pour le prendre amicalement dans mes bras. Il me rendit mon étreinte, ne pouvant plus empêcher ses pleurs. Ses larmes se déversaient de ses yeux avec abondance et je trouvais plus réconfortant de rester dans le silence. Quelques instants plus tard je reculais de quelques pas une fois que je le sentais calmer. Il s'essuya les yeux et je déposais délicatement mon pouce sur sa joue pour élargir ses lèvres en un timide sourire. Cette situation n'avait rien d'ambiguë, nous étions juste amis et je respectais son amour pour Arthur. Il sourit de lui-même et partit se coucher. Je m'allongeais seule dans le canapé, mon esprit étrangement vide.


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