Le mendiant de la rue Saint-André

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Je l'avoue, je n'ai pas toujours été très tendre avec lui, à l'ignorer. Mais vous auriez vu son visage !

C'est sûr qu'à première vue, il n'était pas effrayant. L'archétype du mendiant : Un vieux chapeau ratatiné, un long manteau à la colombo, des bottes sales... la première fois que je l'avais aperçu de la fenêtre de mon balcon, ce n'était pour moi qu'un pauvre bougre qui faisait la manche dans une rue vide.

Mais le lendemain, en sortant de chez moi pour aller au travail, j'ai compris pourquoi les rares passants l'évitaient : il était défiguré. Pas juste balafré ou borgne : je dis bien défiguré. Son visage n'avait strictement aucun sens.

Comment le décrire ? Ses yeux étaient pourvus de paupières retournées, son nez était bien trop levé, sa bouche était retroussée sur les bords, comme les chiens. Ses joues étaient creusées, comme si quelqu'un avait trop appuyé dessus. Une tête de cauchemar.

Quand je suis rentré le soir, il était encore là. Son chapeau était toujours vide. J'avais de la monnaie. Je suis sûr qu'il me regardait, bien que ce soit difficile de le savoir. J'ai pris la décision de ne rien lui donner. Je crois qu'il me faisait peur.

La suite m'a donné raison.

Notre manège a duré 2 mois. Je le croisais, ne lui donnais rien, en étant convaincu qu'il me regardait, et lui restait toute la journée - peut-être même la nuit, je n'osais pas regarder.

Ce soir-là, le 22 mai, quelqu'un a frappé à ma porte. Mon premier réflexe a été de ne pas me déplacer, en espérant que ce témoin de Jéhovah ou ce représentant en aspirateur s'en aille. Arrivé à une dizaine de coups à la porte, je me suis décidé à ouvrir. Et je l'ai vu.

Le même manteau à la colombo, les mêmes traits affreux. Le mendiant se tenait devant moi. Un silence d'une minute s'en est suivi. La rue était silencieuse, trop peut-être. Comme si le monde s'était arrêté pour observer comment j'allais réagir.

-Que voulez-vous ?

J'avais du mal à soutenir son regard. Car là, pas de doute, il me regardait. Je n'ai pas obtenu de réponse, juste un geste :

Il me tendait son chapeau retourné.

Est-ce qu'il souriait ? Comment aurais-je pu le savoir ?
J'ai fouillé mes poches. Quelques pièces, pourquoi pas après tout ? J'ai pris 2 euros, et les ai lâchés avec négligence au fond de son chapeau rapiécé. J'ai éprouvé un grand soulagement à l'idée de refermer la porte.

Mais quelque chose avait changé.

Il n'était plus défiguré. Il avait un visage normal.
Je voyais bien son sourire cette fois.

Je me suis regardé dans la glace. Mes paupières étaient retournées, mon nez était comme décalé sur mon visage, ma bouche ressemblait davantage à un museau.

Un cauchemar. Oui, j'avais raison, c'était une tête de cauchemar.

Le mendiant avait disparu.

Je ne distinguais pas la terreur sur mon visage.

Don't Read at Night | Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant