Folie rouge

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Une faible et dérangeante obscurité s'installe dans une pièce à la tapisserie légèrement déchirée. La fenêtre quant à elle n'est qu'une pitoyable plaque de verre recouverte de barreaux froid. La pâleur du crépuscule n'est qu'un doux et douloureux souvenir qui hante chaque partie de mon corps endolori, un corps qui tombe en fumée, s'écroulant. Il faut trouver une sortie à cet enfer sans nom. Poussant avec mes dernières et minces forces une épaisse porte en métal qui s'ouvre dans un bruit lourd, je marche, pieds nus sur un carrelage glacial. Mes yeux se plissent et je crois apercevoir, le temps d'un instant, une lumière scintillante légèrement orangée éclairant le bout du couloir. Celle-ci s'éteint, avant de se rallumer quelques secondes plus tard. Je marche, guidée par cette ampoule. J'entends des cris, des hurlements, des chuchotements inhumains à travers ces murs de béton.

Me bouchant les oreilles, je continue à avancer, avant qu'un liquide chaud attire mon attention. Je relève doucement ma jambe, et une odeur désagréable vient à mes narines : du sang. Le carrelage est couvert de sang. Trempée, la nausée me tiraillant le ventre, cette odeur âcre me bousille l'estomac. Fermant les yeux, comme privée d'ouïe et de vue, j'avance en me raccrochant à cette lumière qui m'attire tant. Perte de mémoire, amnésie, comme si chaque partie de mes souvenirs était en train de se dissoudre. L'impression malsaine que ma tête est passée dans un bain d'acide sulfurique, pourtant je me rappelle encore de ma journée d'hier. J'étais avec Mélanie, ma charmante fiancée, elle était enceinte et nous attendions un petit garçon grâce à une fécondation in vitro. Rien ne pouvait gâcher notre bonheur, sauf que... Nous étions cachées du reste de la société, car effectivement je suis une femme, et elle aussi, et l'homosexualité n'est pas quelque chose de compris. Les gouvernements se jugent tolérants, mais pourtant on ne peut pas se proclamer tolérant avec l'homophobie, mais je pense, depuis mon plus jeune âge, à ne pas être normal.

Mon cœur se serre dans ma poitrine, et tandis que j'avance, je sens un doux liquide salé couler sur mes joues. Cela faisait si longtemps que je n'avais pas pleuré. Tout cela grâce à Mélanie. Elle avait réveillé chaque parcelle de mon cœur, me couvrant de sensations que je n'avais jamais connues. Mais encore une fois mon histoire d'amour se transforme en une histoire impossible, dégradée par cette société qui me dégoûte. Je ne comprends pas. Depuis quand l'amour n'est pas considérée comme normal? C'est avec une pointe de jalousie que je regarde ces couples exprimer leur affection en public, sans gêne, car je ne pourrais jamais en faire de même. Pourtant, au fond de moi-même, j'étais persuadée que cet enfant pourrait prouver au monde que notre amour est réel.
Je rouvre doucement les yeux et je vois que je suis arrivée à mon point de lumière. Un soupir de soulagement sort de ma gorge, mais finalement la peur reprend le dessus. Je ne sais pas où je suis, et j'entends les gouttes d'eau tomber lourdement sur le sol. Je ne veux pas devenir folle, il faut que je trouve un endroit, une liberté infinie : « Je veux surtout revoir Mélanie ». Perdue dans le temps, je ressemble à un animal abandonné, un mouton noir, un chien abandonné sur le bord de la route, tant de noms me font penser à ma situation et à moi-même.

J'aperçois un épais nuage de fumée venant de la droite. Elle passe sous une porte. Curieusement je sens qu'il faut que j'aille voir, pourtant, mes repères perdus, la demi-obscurité, et ces sons qui martèlent ma tête, commencent à me faire sentir anxieuse. La porte n'est pas comme les autres. Elle est en verre, mais je suis incapable de voir à l'intérieur. Je trouve cela réellement étrange, mais j'appuie tout de même sur la poignée. Ce que je vois me glace le sang.

Rien. Le néant, la solitude. Une pièce abandonnée, une métaphore de ma propre vie et de mon existence sûrement. Plissant les yeux pour m'habituer à l'obscurité, je ne remarque qu'une sorte de miroir brisé, attaché au mur. Seuls mes pas résonnent, comme si j'étais seule au monde, même les cris qui m'horrifiaient ne sont plus. J'avance prudemment ; à chaque pas, mon cœur bat, comme s'il allait sortir de ma cage thoracique. Je sens comme une présence derrière moi, ça me met légèrement mal à l'aise mais je continue à avancer. M'orientant avec le toucher, pour éviter de me faire mal, je tâte , et une douleur perçante se fait sentir.

Don't Read at Night | Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant