L'aube pointe à peine dans le ciel. Pourtant, tu es déjà levé, habillé, prêt à partir au travail. Une tasse de café à la main, tu lis ton journal préféré. Au milieu des articles de sports, des affaires de célébrités et des événements politiques, une page attire brusquement ton attention. Il s'agit apparemment d'un extrait provenant d'un singulier journal.
Je ne me souviens pas vraiment de la manière dont cela a débuté. Je veux dire, le commencement de ce cauchemar sans fin qui est devenu mon quotidien, il y a... trois ans ? Quatre ans ? Plus ? J'ai perdu le compte des jours. Je ne peux même plus faire la différence entre le jour et la nuit. Oh, je ne peux pas me plaindre. Contrairement à beaucoup d'autres, je n'ai pas laissé mes instincts me mener à ma perte. J'ai réfléchi, et j'ai survécu. D'autres n'ont pas eu cette chance.
Mon nom importe peu, dans cette histoire. Tout comme ses protagonistes, ou même le lieu où elle se déroule. Ce qui importe, ce sont les faits. Et c'est ce que je veux que l'on retienne. La folie des êtres vivants, cette lente et suffocante agonie qui est la nôtre, les détails les plus insignifiants comme les plus morbides de mon existence.
J'avais, je pense, environ neuf ans lorsqu'ils m'ont arraché à la quiétude de mon enfance. Ce souvenir est toujours gravé en moi, et c'est le seul qui me reste de mon ancienne vie. Je me souviens de ma silhouette pétillante d'énergie, jouant et courant sous un bienfaisant soleil printanier. Mon petit frère est à mes côtés, nous jouons au ballon. Avec le temps, ses traits se sont effacés, mais sa voix, son rire sont toujours profondément ancrés dans mon âme. Il avait un rire magnifique, mon petit frère...
La suite demeure confuse. Des voix sourdes, des ombres inquiétantes, des mains immenses qui me saisirent brusquement. Le monde qui s'évanouit lentement dans les ténèbres. Un voyage en camionnette, une incompréhension naïve qui provoqua en moi un remous de questions sans réponses. Mais surtout, cette terrible peur, qui me serrait le ventre. C'était la première fois que j'expérimentais une peur réelle, fondée... Et ce n'était que le début.
Je n'étais pas la première. Quelques autres enfants étaient déjà dans le véhicule, les bras serrés autour de leur corps tremblants, des larmes coulant sur leurs visages agités de sanglots. Aucun d'entre nous n'osait parler, de peur d'attirer l'attention de nos ravisseurs. Nous nous contentions de trouver un coin où nous asseoir, en évitant les regards des autres, et nos pleurs amers se mêlaient et se perdaient dans le silence.
Mes souvenirs s'arrêtent là, à ce point précis où le macabre se mêle à l'horreur. Je vis dans un bâtiment que je sais isolé, au fond d'une cave humide et sale, avec une trentaine d'autres enfants de tous âges. La seule voie de sortie est une porte au deuxième étage, à laquelle on accède grâce à un ascenseur mécanique dont le bouton doit se trouver quelque part dans l'usine, en dehors du souterrain. Il y a également une trappe par laquelle arrive de la nourriture tous les jours, ainsi qu'un réseau de ventilation situé au plafond, hors de portée. Enfin, une grille est solidement fixée au-dessus d'un trou au sol, menant à l'eau usée des égouts. Avec du fil et un crochet en fil de fer, on peut espérer pêcher des objets, ou même des cadavres d'animaux de temps en temps.
Je pourrais également vous parler de l'immense vitre noire située à côté de la porte, qui est sans nul doute la seule surface toujours propre de la cave. Je pourrais mentionner les lueurs qui, parfois, apparaissent derrière cette fenêtre. Je pourrais vous expliquer que je suis convaincue que, si nous ne pouvons pas voir à travers le verre, nos kidnappeurs, eux, le peuvent. Que c'est de l'autre côté de cette glace qu'ils nous observent, nous examinent, nous choisissent, avec une parfaite et méticuleuse froideur.
Mais je préfère vous dire que, lorsque les lumières illuminent le verre, toute activité au sein de la cave s'arrête. Nous sommes des enfants : malgré l'emprisonnement, nous avons toujours des rêves, de l'espoir, de l'énergie. Nous inventons des jeux, nous inventons des chansons et des mélodies. Nous ressentons les uns pour les autres ce qui se rapproche fortement d'une amitié timide.
Je ne dois pas fonctionner comme les autres, car, bien que je n'échappe pas à ce lien qui nous unit tous, je ne cherche pas à me mêler à eux. Je sais que tôt ou tard, nous sommes tous choisis, et que je serais triste et affligée de voir mes amis partir les uns après les autres. Jusqu'à ce que vienne mon tour. Je n'ai pas voulu faire partie de ce cercle vicieux.
Deux personnes font exception à cette règle : Marcus, un adolescent surdoué qui s'entête à donner des leçons de grammaire aux autres. Je lui en suis reconnaissante : c'est grâce à cela que je peux tenir ce journal, avancer, supporter le quotidien. Depuis mon arrivée, quatre enfants ont déjà tenté de mettre fin à leurs jours, et les plus anciens ont laissé entendre que c'était courant, même si les Autres n'aiment pas gâcher de la viande.
Et Tiffany. Tiffany, c'est un rayon de soleil dans l'obscurité la plus profonde. Tiffany, c'est une petite fille de sept ans, qui est arrivé dans ma vie depuis maintenant deux ans, et qui a illuminé notre existence. Tout le monde l'aime, la protège. Elle a droit au meilleur coin pour dormir, aux objets que l'on pêche parfois dans les égouts. Mais surtout, elle a droit à toute la nourriture qu'elle souhaite.
Tiffany est gourmande. Cela m'alarme, me fait peur. C'est toujours les plus gros qui partent en premier, et tout le monde sait, ou suppose, que l'endroit où ils vont atterrir n'a rien de plaisant. Quand quelqu'un part, on entends des cris de souffrances un peu plus tard, des gémissements... Ce n'est pas par hasard qu'ils nous donnent seulement des denrées grasses et nourrissantes. Personne ne se fait d'illusions. Un jour ou l'autre, nous sommes tous choisis. La stratégie adéquate est de trouver un équilibre. Ne pas grossir plus qu'il ne le faut, sans se priver de manière mortelle. Mais Tiffany mange ce qu'elle veut, sans se préoccuper de ce qu'il adviendra. Sacrée Tiffany...
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Don't Read at Night | Tome 1
HororVoici le premier tome de la trilogie Don't Read at Night. Ces trois tomes contiendront individuellement 199 histoires d'horreur, donc en tout 597 histoires pour vous effrayer et vous faire vivre des nuits blanches. Bonne lecture et surtout.. Ne lise...