Le Skuggan

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JEUDI 17 SEPTEMBRE 2009. 
   
Je n'ai jamais raconté à personne ce qui m'est arrivé. Et je ne le raconterai jamais à personne de vive voix. J'ai tout de même décidé de rédiger cette histoire dans ce cahier que je laisserai sur cette caisse en bois. Mes mains sont tremblantes. Je ne vais pas pouvoir écrire bien longtemps.  
   
Quelqu'un finira bien par découvrir ceci. Ce n'est qu'une question de temps. Cela me semble d'autant plus probable qu'il est dans la nature de l'Homme d'ouvrir un cahier sur lequel est marqué « Journal Intime », lorsque celui qui l'a composé ne réside plus à cette adresse. Alors bien sûr que cette histoire sera probablement lue. La vraie question, cependant, est de savoir si on me croira. Très certainement pas, mais c'est sans importance. Ce qui m'intéresse n'est pas d'être cru, mais d'être libre.  
   

  
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Tandis que je reste allongé ici, dans cette pièce sombre et vide. Je me souviens encore du jour où, debout devant ma fenêtre, je regardais dans la cour. Il ne faisait ni chaud ni froid à cette époque de l'année. Puis quelque chose m'a interpellé.   
   
« Psst! Viens voir par là! » M'avait dit tout en chuchotant, une voix qui me semblait familière. Malgré la distance qui sépare mon jardin et celui du voisin, je pouvais entendre clairement cette voix. J'étais descendu en vitesse pour rejoindre la terrasse.  
   
« Attrape, gamin! » Je me suis retourné vers la voix, et j'ai vu arriver une balle en mousse qui a franchi la clôture, puis rebondi sur le gravier pour terminer sa route à mes pieds. J'ai tendu la main et l'ai attrapée. J'ai regardé ce que j'avais récupéré, et tout est devenu froid autour de moi. Un pétrifiant frisson m'a traversé de bas en haut. J'étais pétrifié. C'était une balle sur laquelle avait été dessinée un sourire. J'ai vu, l'espace d'un instant, une silhouette se déplacer de gauche à droite pour ensuite disparaître derrière le cabanon.  
   
« Viens jouer avec moi, Bastien! » a fait la voix de l'autre côté du cabanon; et je me suis rendu compte, horrifié, que c'était celle de mon grand frère. Mort. Ce n'est pas lui, ce n'est pas possible... Pensai-je. J'ai essayé de hurler, mais c'est à peine si un son de ma voix était sorti de ma gorge. Mes poumons me donnèrent l'impression d'être en pleine crise d'angoisse. J'ai à nouveau regardé la balle dans ma main et soudain du sang a commencé à couler des yeux du smiley. J'ai jeté la balle de l'autre côté de la clôture en reculant d'une démarche incertaine. Je me suis frotté les mains sur ma chemise pour me rendre compte que le sang était sorti tout droit de mon imagination.  
   
En relevant les yeux, j'ai vu cette même silhouette oscillante, déambulant désormais dans mon jardin. Sa forme était cauchemardesque. Je savais bien qu'au fond de moi il n'était pas réel, mais la peur me faisait comprendre le contraire. Il portait un sweat à capuche entièrement noir et un pantalon gris se rapprochant fortement de la couleur de son pull.   
   
« Tu sembles surpris de me revoir, frérot! » a fait la silhouette avec un sourire déformant son visage. J'ai remarqué à ses côtés la présence d'une tout autre silhouette qui était bien plus imposante que la première. C'était une ombre, je ne pouvais pas distinguer son visage ou ses vêtements mais seulement l'obscurité qui la formait. Elle était entièrement noire et il m'était impossible de voir à travers la chose.  
   
Puis d'un seul coup, plus rien. Ils n'ont pas disparu progressivement comme un fantôme, mais en un clin d'œil. Je me suis retourné, j'ai couru jusque chez moi et je m'y suis enfermé.
   

  
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À peu près un an plus tard, ça avait recommencé alors que je venais seulement d'apprendre à ne plus penser à ce qui s'était passé.   
   
Ce soir-là, j'ai été réveillé par une rafale de vent qui produisait un son surnaturel. La pluie s'est abattue aussitôt après sur les carreaux. Je me suis approché de la fenêtre et j'ai fermé les volets. Puis, un bruit strident venant du couloir a brisé le silence régnant dans la maison. Le bruit a disparu aussitôt pour laisser place à un silence devenu maintenant épouvantable. L'ambiance était tout à coup devenu bien plus qu'étrange. C'est alors que derrière moi, j'ai senti un souffle sur ma nuque. J'ai hurlé, et en m'éloignant, j'ai trébuché comme un imbécile. Une main s'est posée brusquement sur mon épaule. Mes tentatives pour la retirer n'ont fait que la serrer davantage, et elle finit par me lâcher. Un ricanement accompagnait le mouvement. Je me suis tourné en sentant mon cœur me remonter à la gorge.
C'était une vieille dame. C'était mon ancienne voisine. Morte, elle aussi. La moitié de son visage avait été arraché, des asticots occupaient les cavités où il restait encore de la chair.  
   
« Accident de voiture. » La moitié reconnaissable de sa bouche a souri en articulant ces mots. Ses lèvres émettaient un bruit répugnant d'arrachement. J'ai reculé, les jambes tremblantes, mais elle s'avançait à chaque pas que j'entreprenais.  
   
Derrière elle, j'ai aperçu cette même silhouette sombre qui était bien plus grande que la vieille dame. Je sentais son regard glacial se poser sur moi. Elle semblait flotter auprès de la vieille dame. J'ai compris que l'ombre me voulait du mal. J'ai couru jusqu'à sortir de chez moi . Je pleurais. Je me suis senti affreusement seul à ce moment-là. Je contemplais ma maison et n'osais plus y retourner. Laissez-moi tranquille... Laissez-moi tranquille. Laissez-moi tranquille! Je me suis dit, de manière incohérente.   
   

  
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Un an après, jour pour jour, alors que je remontais lentement l'allée, j'ai observé attentivement les fenêtres du premier étage. Quelque chose n'allait pas. Je le ressens aujourd'hui comme si j'avais anticipé ce qui allait se passer. En rentrant, j'avais l'impression de pénétrer par effraction chez quelqu'un d'autre. J'avais l'impression qu'une personne regardait au-dessus de mon épaule. L'ambiance était affreusement pesante et l'air était si lourd que j'en transpirais presque. J'ai entendu un tintement venant de la salle de bain. 
   
J'ai jeté des regards affolés autour de moi, car je ne savais plus d'où provenaient ces bourdonnements. En un clin d'œil, les lumières se sont éteintes et j'ai eu l'impression de ne plus être chez moi. Certaines pièces de la maison semblaient plus grandes, et d'autres beaucoup plus petites, comme si elles avaient pris vie. Je me suis avancé vers le lavabo pour me rincer le visage quand mon cœur a commencé subitement à s'affoler pour une raison que j'ignorais. J'ai aperçu mon visage qui était affreusement pâle, et mes yeux semblaient difformes. Je me suis mis à me fixer droit dans les yeux, car je ne voulais pas contempler la chose que je pouvais brièvement voir au coin de l'œil.   
   
Brusquement, mon appréhension a laissé place à une peur indescriptible. Soudainement, j'ai voulu quitter ma maison le plus rapidement possible. C'était l'ombre. Elle se trouvait juste derrière moi. J'ai fermé les yeux aussi fort que possible. Je me suis tourné en priant de tout mon cœur que cette chose ne m'attrape pas comme elle avait essayé l'année précédente.  
   
« Je vais te bouffer et te découper », avait dit une voix qui se répétait dans ma tête mais qui ne semblait pas être la mienne. Puis je suis précipitamment parti de chez moi pour, cette fois, ne plus jamais y retourner.  
   

  
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Cet après-midi, j'ai eu le courage de me rendre dans un cybercafé pour trouver une éventuelle solution à ce qui m'arrive. En fouillant un bon nombre de forums en tout genre, je suis tombé sur un article dont voici la première partie : 

« Des cris, des pleurs, des supplices, c'est ce qu'écoute Skuggan avant d'aller se coucher. Un nom synonyme de menace, sinistre à la prononciation, qui évoque non pas un semblant de frisson mais plutôt un sentiment d'insécurité, constant jusqu'à être paralysant, qui se rapproche furieusement d'une peur intense et douloureuse. Il est le monstre se trouvant sous votre lit. Il est celui qui attrape vos rêves pour vous les retranscrire en de véritable cauchemars. Il est cette pilule de trop qu'un dépressif aurait avalée. Ses pensées sont mauvaises, sombres et sadiques. Il est celui qui provoquera votre sommeil éternel. [...] » 
  
- D'après l'extrait d'un journal local datant de l'année 1997. 
 

La description donnée dans plusieurs témoignages évoquant cette chose est similaire à celle que j'ai rencontrée. Je ne sais plus quoi faire. Je ne sais plus quoi penser. J'en rigole nerveusement tellement je trouve tout ça invraisemblable. Peut-être qu'après tout,  je suis moi-même victime d'hallucinations comme plusieurs sceptiques le répétaient dans les forums.

  
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Je me sens oppressé par un étrange sentiment d'être pris au piège. Je ressens des tiraillements dans tout le corps. J'arrête d'écrire, je n'en peux plus. Je vais essayer de me reposer afin de continuer plus tard.  



Le journal se termine ici.

Don't Read at Night | Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant