Jade

Chapitre 14

Jade

J'ai toujours été consciente de la chance que j'ai. J'ai pu faire croire le contraire à de nombreuses reprises, mais tout de même, je vis en France. Je sais que tous, ne vivent pas comme notre famille ou celles de mes amis. Je ne vis pas dans un monde idyllique, j'ai conscience de ce qui m'entoure. Aujourd'hui, plus encore. Je ne pensais pas qu'il était possible de lier une amitié si forte avec une personne à l'opposé de nous. Avec Raphaël, c'est comme avec Jules.  J'ai l'impression que le monde dans lequel j'ai toujours vécu n'est en vérité pas le mien. C'est comme si j'étais tombée dans la mauvais mauvaise famille. Ce n'est pas contre eux. Je les aime énormément mais on se demande parfois s'il n'y a pas eu erreur. Je vous assure que lorsqu'on commence à penser à ça, on se pose des milliers de questions aussi tordues les unes sur les autres.

Je reprends goût ou je prends, simplement, à la vie normale. Celle que la majorité des personnes connaissent et le plus étrange c'est que j'apprécie. Il y a quelques mois, je n'aurais jamais voulu manger dans un fast-food et aujourd'hui je me prépare pour y aller avec Raph. Il m'a dit de mettre tout ce que j'avais de plus simple, mais je ne sais pas quoi choisir. Un jeans sur les fesses, je cherche désespérément un haut qui convienne. Tout parait trop chic et onéreux pour aller manger un hamburger. Après dix minutes de réflexion et dix autres d'essayage, j'opte pour un pull cocooning à souhait que je n'enfilais que pour rester chez moi lorsque j'étais malade. Pour dire.

Je mets mes bottines et me regarde une dernière fois dans le miroir. Alors que je vais pour me changer, Sarah m'avertit qu'il est déjà là. Mais en plus, il est en avance ! Merde alors, ce n'est vraiment pas ma chance. Je ne peux pas le présenter à lui comme ça ! Quelle honte. Je retire mon pull en quatrième vitesse et mets en beau chemisier Ralph Lauren. J'y ajoute un gilet et descends rejoindre mon ami. Raph est bien habillé également, j'ai bien fait de me changer. Il sourit grandement et m'enlace avec amitié.

Je regarde rapidement à droite et gauche vérifiant qu'il n'y a pas mes parents ou Édouard. Je ne veux pas que Raphaël rentre chez moi si quelqu'un de ma famille est présent. Je ne peux pas l'accepter. C'est encore beaucoup trop tôt, et je sais pertinemment que personne ne l'accepterait dans cette maison. Raphaël a beau être un futur médecin, il n'a pas de nom. Dans notre monde, il faut avoir un nom pour être quelqu'un. Le métier ne fait pas tout.

-Tu es vraiment bien habillé. Heureusement que je me suis changée.

-Je savais que tu serais incapable de sortir en mode détendue. Je commence à te connaître !

-C'est purement injuste.

-Mais non. Alors, tu viens toujours ? demande-t-il.

-Évidemment. Comment louper mon premier fast-food ?

Il rit et me propose son bras pour sortir. Je commence vraiment à l'apprécier. Un peu trop, peut-être. Il est tellement simple et joyeux à la fois. J'aime sa façon de vivre les choses. Il a peu de moyen mais il est heureux. Il fait les études qu'il a toujours voulu et sa famille est en or. Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi proche de sa famille. Dans mon monde, on ne montre pas son affection pour ses proches. Ça signifie être faible et c'est presque honteux. Lors de réceptions ou soirées, mon père ne montre ses sentiments qu'à ma mère. C'est ainsi.

La fois où je suis allée chez lui, pour son anniversaire, il a enlacé sa soeur et sa mère sans aucune  honte ou rougissement. Ça m'a presque choqué en vérité. Je ne suis pas habituée à ça. Je ne me rappelle pas avoir reçu des câlins de mon père étant petite. Il ne m'a jamais lu d'histoire, ni même proposé de jouer avec moi. En fait, c'est Marilou qui m'a élevé avec mon frère.