Il n'y avait rien de plus simple, pensions-nous. Extraire quelques chromosomes, les séparer les uns des autres, et voilà, ça fait un joli petit humain. Je me demande encore ce qui a merdé. Peut-être un mauvais calcul ? Une erreur dans le protocole ? Ou bien encore quelque chose échappant à notre contrôle ? Qui peut savoir ?
Nous nous intéressions, mes collègues psychologues et moi, aux émotions humaines. La colère, le désespoir, la joie. Était-il possible de concentrer un esprit humain sur une seule de ces émotions? Pouvions-nous brider l'esprit de façon à ce que ni la colère ni la peine n'affecte la psyché du sujet? Ceci était théoriquement possible.
Je ne vais pas vous expliquer le protocole expérimental. Tout d'abord parce que je ne veux pas que tout ceci se reproduise, ensuite parce que j'ai peur de devenir cinglé si je dois me les rappeler. Ces choses horribles qu'on a faites. Nous étions jeunes et ambitieux, rien ne pouvait nous arrêter et personne n'était dans nos pattes pour nous dire que nous faisions fausse route. Tout ce que je peux dire c'est que nous avons prélevé quelques cellules souches, nous les avons incubées jusqu'à leur stade embryonnaire, puis nous les avons soumises à de minimes modifications génétiques. L'expérience fut appelée "le projet de l'homme-ange". Son but consistait à créer un être qui ne ressentirait que la joie. Mais quelque chose a merdé. Terriblement merdé.La moitié des sujets est morte inexplicablement, sans symptômes avant-coureurs, sans cause apparente. La seconde moitié a été, pour la plupart, victime de malformations. Seuls trois d'entre eux ont été considérés comme viables. Nous les pensions parfaits. Un nouvel être aux capacités mentales hors du commun grâce à cet état d'euphorie permanente.
Leur croissance a été tout ce qu'il y a de plus normal, jusqu'au huitième mois. C'est à ce moment là que les premiers symptômes sont apparus. Perte d'équilibre, troubles du sommeil et de l'alimentation, mauvaises réponses aux stimulis. Bien évidemment, nous étions paniqués, mais nous ne laissions rien transparaître et nous avons continué le projet. Nous aurions dû nous en arrêter là. Nous aurions dû prendre ces foutus sujets, les euthanasier, les cramer et fermer le labo. Mais on a quand même continué.
La situation a empiré. Les mouvement des sujets n'ont bientôt plus été qu'occasionnels, et ils ne prononçaient toujours pas le moindre mot, même s'ils étaient capables de rire et qu'ils y passaient le plus clair de leur temps. Beaucoup trop de temps. Pas des rires de joie mais plutôt des rires discrets, presque nerveux, et quasiment sans s'arrêter. Peu importait l'intensité de la douleur à laquelle le sujet était soumis, il vous fixait tout en continuant à se marrer, comme s'il se moquait de vous, comme s'il considérait comme inutile toute tentative de le blesser.
Nous espérions des sujets une capacité d'apprentissage accrue. C'est tout l'inverse qui s'est produit. Leur développement mental était extrêmement en retard. Ils ne pouvaient maintenir leur attention qu'une poignée de minutes avant de retomber dans leur état d'hilarité. Nous avons toutefois poursuivi l'expérience, espérant que ces symptômes allaient s'atténuer avec le temps. Nous avons donné un nom à ces symptômes : "le syndrome du pantin joyeux", car leurs mouvements incohérents, mécaniques, ressemblaient à s'y méprendre à ceux d'une marionnette dirigée par des fils.
Au bout de cinq ans, on s'est rendu compte qu'il n'y avait aucun espoir. Les rires incessants des enfants nous devenaient intolérables, comme s'ils savaient quelque chose que nous, nous ignorions, comme s'ils se fichaient de nous. Être confronté à un enfant pris de convulsions et de bouffées d'hilarité est une chose qui vous hante à vie. Deux de mes collègues, ne supportant plus cette situation, ont abandonné le projet. Je n'ai plus jamais eu de leur nouvelles. Ils sont probablement morts.
Les enfants n'avaient pas parlé pendant cinq ans. Ils se contentaient de rire - ce putain de rire. Nous leur avons apporté leur petit déjeuner alors que leurs grands yeux nous fixaient, ils gigotaient tels des pantins, ils gloussaient mais ne disaient rien. Nous avons laissé la nourriture à leurs pieds, puis nous avons quitté la pièce. Cette nourriture contenait une toxine qui devait les tuer à petit feu et sans douleur. C'était une épreuve douloureuse pour nous mais nous devions le faire. Tout ceci n'a toutefois pas été aussi simple que cela.
Alors qu'un de mes amis posait sa gamelle aux pied d'un des garçon, les rires se sont arrêtés. Le garçon a fixé mon ami, ses yeux devenant soudainement sombres, son attitude sérieuse, son rire éteint.
Ils ont continué à le fixer encore un moment, le corps parcouru de spasmes. Mon ami était en état de choc et ne pouvait plus bouger. Nous nous sommes alors levés, mes collègues et moi, sortant stylos et carnets de notes afin d'y consigner nos observations. Soudainement, mon ami est tombé à genoux, la tête entre les mains et hurlant comme un fou. Il avait l'air de souffrir le martyre. Mes collègues et moi étions totalement pris au dépourvu, nous ne pouvions rien faire d'autre que nous assoir et regarder. Mon ami s'est effondré sur le sol, hurlant des insultes. Il a convulsé à plusieurs reprises puis il s'est immobilisé.
J'ai réussi, contrairement à quelques-uns de mes collègues, à me retenir de vomir. Quelque chose n'était pas normal. Une présence sombre semblait s'élever au-dessus de nous. Nous avons immédiatement scellé la porte. Le garçon s'est alors arrêté pour regarder au travers de la porte, et il s'est mis à rire. Il est tombé à terre, son corps roulant et se convulsant dans un grand rire malsain. Les deux autres sujets ont fait de même. Quelques minutes plus tard, leur crise est passée, et ils se sont relevés, toujours en gloussant, toujours parcourus de spasmes.
Les lumières se sont éteintes. J'ai alors entendu un fracas, un bruit de verre qui se brise, des cris. La chose qui m'a le plus terrifié reste ces murmures obsédants qui se mêlaient aux rires étouffés. Quand la lumière est revenue, les sujets n'étaient plus là. Deux de mes collègues gisaient à mes pieds, inconscients, leurs corps tordus dans des positions peu naturelles. Du sang s'égouttant de leurs bouches déformées. Tout indiquait qu'ils étaient morts. Aucun signe vital n'était visible. Mais, alors que je me penchais vers eux, j'ai pu les entendre rire très faiblement. Je suis alors parti examiner mon ami. Pas de pouls, pas de respiration, mais il continuait à rire doucement.
Même si les sujets avaient disparu, je me sentais comme épié. Quelque chose de tapi dans les recoins de mon champ de vision mais que je ne pouvais saisir du regard.
Accompagné d'un collègue ayant survécu, nous avons immédiatement fermé à clef tout ce qui pouvait l'être. Avant de nous en aller, nous avons détruit nos recherches et barricadé le labo. J'ai alors perdu tout contact avec mes collègues. J'imagine qu'ils sont morts.
Je continue de me sentir observé. Je continue d'entendre les rires, les murmures dans mes rêves et quelquefois même lorsque je suis éveillé. Lorsque cela m'arrive, je cours. J'abandonne tout et je m'enfuis. Et ceci où que je sois. Je me sens incapable, à présent, de rester plus de quelques jours au même endroit à cause de ça.
Ça s'est répandu. On a constaté des symptômes similaires chez d'autres enfants. Je n'ai aucune idée de comment ça s'est propagé, ça ne devrait pourtant pas être possible. Quelqu'un, quelque part a dû modifier le quinzième chromosome plongeant par la même occasion les gens dans la joie et les ténèbres. La maladie fut baptisée "syndrome de l'homme ange". Pour l'instant, cette nouvelle progéniture n'est pas dangereuse. Mais je sais que les sujets originaux continuent de rôder quelque part.
Je sais qu'ils viennent me chercher. Je sais qu'ils me retrouveront. J'ai accepté ce fait. C'est ce que je récolte pour avoir essayé de dompter la nature. Je laisse cette lettre en guise d'avertissement. Ils viennent pour vous aussi. Ils viennent pour nous tous. Si jamais vous entendez des murmures et des rires si bas qu'ils semblent inaudibles, alors courez. Si jamais vous avez la sensation que quelque chose se tient à la limite de votre champ de vision mais que vous ne parvenez pas à voir, alors courez.
Je vous préviens également. 1 : n'essayez pas de dompter ce que vous ne pouvez pas maîtriser. 2 : Même un ange peut cacher un démon. 3 : Ne cherchez pas à me retrouver. C'en est fini de moi.
*****
Ce manuscrit a été retrouvé dans un laboratoire secret laissé à l'abandon, découvert au cœur d'une forêt d'Alaska. Le laboratoire était composé d'une salle d'observation et d'une salle de confinement. La salle de confinement était barricadée et fermée. L'ensemble du labo semblait avoir été victime d'un incendie. Des traces de sang furent trouvées dans la salle de confinement, ainsi qu'une fenêtre brisée. Nous ignorons encore de quel organisme dépendait l'installation.#Laura :)
VOUS LISEZ
N'ayez pas peur. [Réécriture]
HorrorCeci est un livre d'horreur et certaines de ces histoires sortiront de ma tête avec un peu de vrai (exemple: dates, lieux,époques,...) et d'autres seront déjà des écrits circulant sur Internet. Pour cela, ne vous inquiétiez pas, je vais faire de nom...