Extrait du cahier #1 : « Genèse / vide sanitaire ».
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Beaucoup de choses me dérangeaient dans le passé, comme les « maisons hantées » et les poupées « effrayantes », mais quand tu es un gosse il est plus facile de pardonner (et d'oublier). Il y avait un moment particulier où j'ai réalisé que les choses qui me poursuivaient et essayaient de m'attraper pendant la nuit n'abandonneraient jamais.
Je devais avoir douze/treize ans. Il n'y avait pas école et c'était l'été le plus chaud que la ville ait connu depuis des décennies. Une partie de mes amies faisait de la corde à sauter à la plaza, ou essayaient d'ouvrir une bouche d'incendie. À l'époque, les rues étaient plus sûres et j'étais autorisée à errer dans le quartier, avec une robe d'été et des sandales. J'étais plutôt une fille mignonne.
Tu te souviens d'Alex ? Il est parti entre le collège et le lycée, et il n'était pas très très causant. Je me souviens que les autres se moquaient de lui parce qu'il était pauvre et apparemment ses parents devaient emprunter de l'argent à une autre famille pour payer ses cours. Son père tenait une clinique dans sa maison tu sais. Le rez-de-chaussée abritait la clinique et ils habitaient au premier, dans ce petit complexe d'appartements qui leur appartenait. En ce jour particulier je suis allée voir ce garçon particulier, parce qu'on avait convenu d'un rendez-vous.Alex avait quelque chose à me montrer. Je lui ai toujours raconté mes histoires, celles sur les gros chiens qui vagabondent dans la nuit et sur Monique, et sur les fantômes que je voyais à côté de ma maison quand j'essayais de dormir. Et je prenais plaisir à l'effrayer, parce que c'était mon passe-temps favori avec les garçons, mais il était visiblement intéressé par ces histoires. Il a dit que des choses similaires se passaient dans sa maison. Apparemment j'avais trouvé un esprit innocent.
J'ai marché quelque 8 pâtés de maisons jusque chez lui, la petite clinique où une secrétaire s'ennuyait derrière le comptoir, et il est descendu pour m'accueillir. Il portait un vieux tee-shirt Thundercats, je crois, avec un vieux jean délavé et des baskets blanches. Je lui ai offert un chocolat que j'avais piqué de la réserve de ma mère. Il m'a invitée à rentrer.
Comme je l'avais compris la famille d'Alex était dans des ennuis financiers très compliqués, tellement qu'aucun de nous deux ne nous en préoccupions ou ne comprenions, et ses grands-parents vivaient avec lui. Ils venaient de la campagne et étaient très superstitieux ; un des passe temps favoris de sa grand mère était d'interpréter les rêves (apparemment c'était toujours de sombres présages, et à cette occasion elle m'a parlé d'un truc ou deux à propos des miens, mais c'est encore une autre histoire).
Alex m'a amené dans la cave, qui ressemblait plus à un couloir voûté. Apparemment c'était un espace utilisé pour l'isolation ou bien une partie de quelque chose de plus grand ; d'après mon père ce bâtiment faisait partie d'un complexe ou quelque chose comme ça. On y accédait via une porte en bois grinçante de la taille d'un placard. La pièce servait aussi d'entrepôt pour les fournitures médicales. On devait se faufiler derrière son père et les adultes présents comme ils n'aimaient pas qu'il aille la bas.
Si j'avais été ne serait-ce qu'un peu claustrophobe je crois que jamais je n'aurais pu m'en sortir. Même un enfant de mon âge devait gigoter en rampant sur le sol en béton avec les sons grinçants de la maison au-dessus de ma tête. J'avais peur que tout nous tombe dessus. Alex avait volé un briquet à son père avant d'entrer, mais il était devant moi et le peu de lumière qu'il faisait ne me rassurait pas vraiment. Après avoir rampé dans le chemin pendant une ou deux minutes, on est arrivés à un cul-de-sac, où il a dit qu'on pouvait se lever. Il avait raison, on devait maintenant suivre un mur, je suppose qu'on devait être à l'autre bout de la maison, entre les murs intérieurs et extérieurs. Je pouvais entendre la télé quelque part, sur laquelle diffusait quelque chose qui semblait très vieux.
Finalement, Alex a dit « regarde ». Il a pointé le briquet sur un point devant lui. J'ai dû plisser les yeux pour voir, et même comme ça je ne voyais pas vraiment grand chose dans l'obscurité dense, alors je lui ai pris le briquet des mains et j'ai regardé par moi-même. Et là j'ai pu réussir à voir.
C'était... un trou dans le mur je pense. À l'opposé de là où on se tenait, vaguement en forme d'œuf, avec des fils coupés et des bouts de métal qui en sortaient, comme si une petite météorite avait atterri ici. Je ne pouvais voir que de vagues contours dans le noir, mais je pouvais voir des marques à l'intérieur, qui étaient d'une couleur marron, et comme amorphes par leur forme.
Alex m'a dit que c'était, d'après ses voisins, l'homme à qui appartenait cette maison il y a longtemps qui avait laissé son fils mourir dans ce trou quand il avait découvert qu'il était en fait le fils d'un amant de sa femme. Le bébé avait fini par mourir de faim et personne n'avait su. Il a raconté cette histoire avec une certaine fascination, avec le même ton qu'un guide touristique aurait en décrivant un massacre vieux de plusieurs centaines d'années et qui n'aurait plus grande importance émotionnelle maintenant.
J'ai hoché la tête et suis restée là pendant un moment. On est enfin repartis par le chemin, on a joué aux cartes un moment et je suis rentrée (sa mère m'a offert de la limonade, ce qui était très gentil mais elle avait l'air crevée). Je me souviens avoir raconté ça à A. et à B. et ils ont dit qu'Alex avait probablement inventé cette histoire pour m'impressionner. Puis il y a eu l'habituelle boutade qui disait qu'Alex et moi on se marierait et qu'on aurait des bébés, mais que Alex serait trop pauvre pour s'en occuper. Je jure que quand la maîtresse m'a dit que les filles devenaient matures plus rapidement que les garçons j'ai ressenti comme si la vie dans son entièreté m'avait été expliquée.
Honnêtement je pense qu'Alex voulait juste être mon ami, parce que sa famille, ses vêtements et son accent de la campagne repoussaient la plupart des enfants de mon école. Je ne suis retournée chez lui qu'une seule fois après, genre une semaine plus tard. C'était un jour aussi chaud que la semaine d'avant et j'y suis donc retournée. Je me souviens qu'à ce moment là, il y avait la peur du Tueur de Chiens et que les enfants s'étaient vus avisés de ne pas sortir mais je n'y ai pas fait vraiment gaffe. Cette fois Alex a dévalé les escaliers en me disant qu'il fallait VRAIMENT que je voie quelque chose.
On est retournés dans le vide sanitaire de la dernière fois. Une minute à ramper dans ce couloir étroit, trente secondes dans l'isolation et on y était. Cette fois Alex m'a dit « regarde » avec une expression presque diabolique, et a sorti une lampe de poche, ce qui était une amélioration par rapport à la dernière fois.
Maintenant on y voyait plus clair. Le trou correspondait à peu près à ce que j'avais vaguement vu la première fois, mais maintenant je pouvais voir correctement ces taches à l'intérieur. Elles aurait pu avoir été faites par des excréments ou autre chose de tout aussi dégueulasse. Elles formaient une forme bizarre. Alex m'a dit de reculer. Il a dit que ça ressemblait à un bébé — il a commencé à pointer du doigt ce qu'il disait être le visage et le corps — mais je n'ai pas vraiment vu grand chose. Juste des taches et des marques. J'ai levé les yeux au ciel et lui ai dit qu'on devrait partir.
Au moment précis où j'ai dit ça, il y a eu ce son, comme si tout l'air était aspiré hors de la maison, c'est le bruit qu'aurait fait une rivière qui coulerait sous nos pieds. Le son s'est intensifié, a commencé à bouger les planches et a soulevé de la poussière du sol et du plafond. Et soudain on a entendu ce craquement, comme si un réfrigérateur était tombé à l'étage au dessus, et on a cru que tout allait nous tomber sur la tête. On a couru en criant pour retourner d'où on venait.
Quand nous sommes sortis sa mère nous attendait, les bras croisés avec un air de désapprobation. On était couverts de peinture et de poussière. Elle nous avait sûrement entendu crier comme des idiots, et elle était furieuse contre Alex, et lui a interdit d'y retourner. Elle a dit qu'elle bloquerait l'accès dès demain.
Je n'ai pas eu la chance de retourner chez Alex après ça. Il avait été puni pour le reste de l'été, apparemment, et quand l'école a repris nous n'étions pas dans la même bande et on a perdu contact. Comme je l'ai dit, il a déménagé dans une autre partie de la ville quelques années plus tard. Je suis à peu près sûre que les gars s'en souviennent. Oh, et d'après sa mère le gros craquement qu'on avait entendu était un camion poubelle dehors, mais je n'y ai pas cru.
Ce qui est vraiment bizarre et qui mérite d'être écrit ici est que, ben, je suis passé près du complexe d'appartements où Alex vivait plusieurs fois avant d'aller à l'université. Son père a fermé la clinique quand il a déménagé, maintenant c'est une résidence privée ; et le bâtiment a été modifié. Mais je suis passée devant et j'ai regardé sous tous les angles, et j'ai beau remonter aussi loin que je peux dans mes souvenirs, ça ne correspond pas. Le couloir je veux dire. Il n'y a aucun endroit dans cette maison — AUCUN ENDROIT — pour ce passage, et le mur avec l'isolation, et le trou. Ça n'a simplement aucun sens. J'ai demandé à une amie qui est en architecture à quoi pourrait servir une structure comme ça, et elle m'a dit que ça n'avait rien à faire dans une construction de ce genre. Et que ça n'a probablement sa place dans aucun bâtiment.
Est-ce que quelqu'un est toujours en contact avec Alex ?[FIN]
Pas grand chose à dire honnêtement. Je pense que c'est clair que ça a été écrit par T., mais cet Alex est un mystère pour moi. J'ai demandé à mes parents s'il y avait une clinique près de chez T., mais ils n'ont pas pu me répondre.
Extrait du cahier 4 : « Entrevue avec J. »Il y a quelques jours je suis allé chez J. et je l'ai interrogé sur l'incident avec la maison hantée, quand il était enfant. Incident qui impliquait aussi T. J'ai dit que c'était pour une collection de témoignages ou un truc comme ça. Elle n'était pas très partante, elle n'aime pas en parler et elle ne m'aime pas beaucoup non plus. Mais je vais retranscrire ce que j'ai pu en tirer. T. va sûrement être en colère.
Que penses-tu que c'était ?
J : Qu'est-ce que tu veux dire ? C'était un chien, le chien du mec.
Tu l'as revu après ça ?
J : Nope. Je n'avais pas envie de retourner à cette maison, T. non plus. Mon père est allé parler aux propriétaires après que ce soit arrivé et il s'est presque battu, le père de T. aussi d'ailleurs. Papa s'était vraiment énervé à l'époque. Il a dit qu'il allait empoisonner l'animal. Mais je pense pas qu'il l'ait vu non plus.
Il a dit qu'il allait l'empoisonner ?
J : O-Ouais.. Tu sais, il était vraiment en colère parce que ma mère était vraiment remuée par tout ça. Mais le mec a déménagé et on a tout oublié.
Et toutes les autres choses étranges ? T. a dit que ces gens faisaient un genre de thérapie par les cris. Et qu'ils gardaient ces oiseaux autour de chez eux.
J : C'était des paons. Je crois que le couple voulait faire de leur propriété une auberge de luxe pour les touristes étrangers, et ils voulaient y mettre une sorte de zoo privé, avec des animaux exotiques comme des paons.
Comment tu sais ça ?
J : Bah, des années après tout ça j'ai posé des questions aux voisins à leur sujet. C'était un couple sans enfants tout ce qu'il y a de plus normal, ils venaient d'Europe, mais ils avaient beaucoup de visites. Apparemment le mari était une espèce de franc-maçon. Tu sais, genre le Lions Club, mais pas vraiment le Lions Club. Je pense qu'ils faisaient beaucoup d'actions caritatives mais qu'ils étaient un peu New Age aussi.
Peut-être le clan de l'adoration ?
J : Peut-être. Ça semble bizarre. Honnêtement je ne me souviens pas du nom, c'était il y a longtemps. C'est bon ?
Tu penses que ton père a fait quelque chose pour retrouver ce mec ?
J : Quoi ? Non, bien sûr que non. De quoi tu parles ? Tu sais qu'il est dans un fauteuil roulant ?[FIN]
Je ne sais pratiquement rien de J., mais je me souviens que son père avait eu un accident qui l'avait laissé paraplégique. Apparemment il était tombé d'une fenêtre du deuxième étage.#Laura :)
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N'ayez pas peur. [Réécriture]
HorrorCeci est un livre d'horreur et certaines de ces histoires sortiront de ma tête avec un peu de vrai (exemple: dates, lieux,époques,...) et d'autres seront déjà des écrits circulant sur Internet. Pour cela, ne vous inquiétiez pas, je vais faire de nom...