Mon Frère. (5/11)

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Extrait du cahier 3 : « Yuga park sous surveillance »

L'infâme X, café « Haiti », Rue [___], 1995.

Tu te souviens de toutes ces histoires que tes parents te racontaient sur Yuga park quand ILS avaient ton âge ? C'était style l'endroit le plus sympa, tranquille, beau et bubble gum [nda : désigne le style de jeunes s'identifiant culturellement à la musique et aux séries commerciales, opposé absolu de "gangsta"]. Il y avait des petites jeunes et des écolières en mini-jupes et des enfants qui jouaient au foot jusqu'à 17h, moment auquel ils rentraient et se battaient pour avoir la télécommande car ils voulaient regarder les dessins-animés, mais les frères les plus âgés voulaient voir des remakes de vieux films, et puis les mères disaient : « Allez vous faire voir tous les deux, je regarde mes conneries de l'après midi », et au final c'était ça et... Oh mec, c'était pas le bon vieux temps ça ?!Et maintenant ça ressemble à quoi Yuga park ? Je vais te le dire, c'est des chats et des salopes. Des chats et des salopes. Tu savais pour les salopes ? Bien sur que tu le sais, t'es bien pire que ça, oh allez mettons que tu fais semblant, je le sais très bien. Bref, où j'en étais moi ?Ah ouais, Yuga Park c'est ça. Bah ouais, on s'est rencontré avec le gars — tu sais, Le Gars, celui dont je t'ai dit que tu devrais lui parler, qui tient un magasin de zik dans son appart, il est dans cette merde aussi —, bref, je l'ai rencontré, je crois que j'étais assis sur le banc à côté des attractions pour enfant ou peut être en face du buste du général/commandant/sergent, le parc a été inauguré en son honneur ou quelque chose comme ça. En fait je pense que j'étais assis sur le banc en face de la pancarte qu'ils ont mise l'autre jour : « Prière de ramasser les déjections de vos animaux », ou un truc du genre, de toutes façons c'est des conneries. C'était genre comme la nuit mais pas la nuit. C'était le crépuscule, il était à peu près 18h. C'est l'heure que tout le monde aime parce que c'est un moment parfait pour flemmarder, et le soleil illumine tout comme sur une vieille photo, tu sais ? [Rires] Ta gueule, ta gueule ! Okay, Yuga Park. Je suis à Yuga Park. C'était il y a genre 5 jours, c'était une connerie récente. J'espère que tu m'écoutes bien parce que toi et moi on ne peut plus retourner là bas maintenant. Je te suggère d'avertir tes petits amis sur les dangers de Yuga Park, et je ne parle pas seulement d'être drogué, enlevé, violé ou kidnappé la nuit ou toutes ces merdes d'ado, non. Je parle de VRAI danger, je parle de ces mecs, tu sais, ces mecs.Alors j'avais rencontré Ce Mec — tu sais, Ce Mec, ne me fais pas répéter — et il vendait cette putain de weed à un putain de tarot. Je me la joue pas toujours aussi aventurier tu sais, c'est comme disait mon père avant de mourir, bien avant qu'il meure, il disait tu sais, que les trucs les plus durs étaient les plus cool tu vois, mais que parfois tu préférais quand même cette bonne vieille weed toute résineuse. Mon père était un hippie, je te l'ai déjà dit ? C'était un putain de hippie, comme ma mère, mais elle ne l'est plus maintenant.La lumière du soleil était vraiment sympa, et j'étais juste assis là à regarder les gens passer comme B. fait, tu sais, il adore faire ça, il est bizarre. Je me détendais et j'appréciais ma défonce, et ce trou du cul, j'ai d'abord cru que c'était un pédé, et il venait genre, vers moi tu vois. Ça arrive souvent à Yuga Park, tu sais, ça arrive même trop souvent. J'ai cru que c'était un pédé et il venait vers moi. T'as remarqué que les gens nous regardent bizarrement ?L'INFÂME X CONTINUE SON HISTOIRE DANS LA RUELLE DERRIÈRE LE CAFÉ HAITI APRÈS AVOIR ÉTÉ INVITÉ SANS CÉRÉMONIE À QUITTER L'ENDROITOù j'en étais ? Il fait froid. Ah ouais, ce trou du cul. Ce connard s'est assis juste à côté de moi et a commencé à tout gâcher. Je crois qu'il essayait de me provoquer, probablement. Il me murmurait de la merde, en essayant d'avoir l'air totalement naturel et détendu. Il avait un serpent tatoué au fait, ce stupide serpent de merde autour de son bras, c'est la connerie la plus débile que j'aie jamais vue, et pourtant j'en ai vu, surtout chez les vieux.Alors ce mec me dit « tu sais qui sont les Brutalistes ? » Et j'étais genre, putain, je suis baisé. Mais genre bien bien baisé. Parce que, ben, il parlait des Brutalistes, et — qu'est ce que tu veux dire ? Les Brutalistes font partie intégrante du groupe, c'est quelque chose qu'ils font. Y a les Brutalistes, les Nobles, La Légion et ... un autre mais je me souviens plus comment il s'appelle. Écris cette saloperie plus tard. C'est exactement ce qu'ils font. J'ai dit quelque chose comme, va te faire enculer mec, je sais pas de quoi tu parles, casse toi, et alors je me suis rendu compte qu'il faisait nuit et qu'il n'y avait plus personne dans le parc et qu'il y avait encore genre 5 de ces trous du cul, qui étaient soit dit en passant très bien habillés, mais ils m'entouraient complètement. Et ils me regardaient juste en grinçant des dents. Ils avaient des dents super propres et des yeux très blancs, genre autour de l'œil. Mais ils sont démoniaques. Je le sais. Je peux le dire. Alors le mec à côté de moi s'est levé et m'a dit : viens avec nous.Je ne suis pas A. ou quoi que ce soit, okay ? Je peux pas juste activer ma super force ou quoi que ce soit qu'il fasse et éclater 5 mecs. Plus, j'étais encore défoncé, quand je t'ai dit que la beuh de Ce Mec était bonne je plaisantais pas. Alors je suis juste resté calme et j'ai gardé la tête baissée. J'ai regardé aux alentours pour voir si il y avait des flics ou des gens normaux qui pourraient venir au secours d'un mec qui se faisait agresser par des mecs violents, mais y avait personne du tout. Yuga park avait été déserté. C'est dans ces moments que les gens disparaissent, quand t'as besoin d'eux, tu sais.Alors je suis allé avec eux à contrecœur. J'ai cru qu'ils allaient me choper derrière un buisson et me tabasser ou me voler ou pire, mais non, c'était pas des voleurs, ni un gang non plus. C'était d'honnêtes gens de la société. J'ai compris ça à la seconde où le mec m'a parlé des Brutalistes. C'était les trous du cul qui avaient été virés du Clan de l'adoration — Je crois que c'est comme ça que ça s'appelle— et voulaient y re-rentrer. Alors ils ont commencé à me demander où vivait E. Est-ce qu'elle vit avec ses parents ? Quel est son rang ? Depuis combien de temps est elle dans le clan ? J'ai juste remué la tête. Je suis pas un loser ou un lâche ou un traître, je ne voulais rien dire, mon plan était juste de dire que je connaissais pas E. du tout, et je ne savais pas de quoi ils parlaient. En fait je sais même pas comment ils pouvaient savoir que j'avais un lien avec ça, et d'ailleurs j'en ai aucun de toute façon, alors ça n'a pas de sens. Mais retour à l'histoire. J'étais dans cette putain de sombre petite allée. Il n'y avait pas de lune dans le ciel, juste une petite lumière d'un réverbère, et ces 5 mecs qui me foutaient la pression. Je crois qu'à ce moment j'ai commencé à me dire que j'allais mourir ici, parce que le mec avec le tatouage de serpent a sorti un couteau.Mais je crois que j'ai eu un élan de courage, j'étais genre, je m'en bats les couilles, vous allez buter un gosse pour un truc aussi stupide que ça, vous êtes des débiles, j'ai commencé à vraiment gueuler, je crois que quelqu'un aurait pu m'entendre à distance, je me suis rendu compte que s'ils ne me poignardaient pas en premier, quelqu'un pourrait venir me secourir, mais personne n'est venu. Et en plus il y avait beaucoup de brouillard, ce qui était bizarre comme on était en été mais peu importe.Ils ont continué à me poser des questions encore et encore. Et je n'ai pas grand chose à dire puisque je continuais à tout nier. Alors le mec est devenu furieux, il m'a chopé par le col et les autres se sont rapprochés ; je pouvais sentir leurs souffles sur mon visage, c'était terrible, ils avaient la pire haleine du monde, comme s'ils pourrissaient de l'intérieur. Ils m'ont jeté dans une poubelle du parc et m'ont laissé là. J'étais toujours dans les vapes, je voyais pas comment et vers où ils étaient partis mais je crois qu'ils sont montés dans une bagnole après avoir tourné au coin. Et putain, tu peux voir quel genre de souvenir ils m'ont laissé [montre les points de suture sur la joue gauche]. C'était plutôt profond. Le docteur a dit que j'avais eu de la chance. J'ai dit à maman que j'avais été agressé, qu'est ce que j'aurais pu dire de toute façon ?Ne dis rien à E. là dessus. Je veux pas qu'elle devienne parano. Ils ne toucheront personne à moins que tu ailles dans leur rayon d'action. Juste, ne vas pas à Yuga Park. Je suis presque sûr qu'ils vous surveillent tous, tout votre petit groupe, alors je vais essayer d'empêcher de mauvaises choses d'arriver. Mais je ne peux rien promettre. Comme tu peux le voir. Faites juste attention. Ce sont juste des losers de toute façon, c'est pas le Nouvel Ordre Mondial ou quelque chose comme ça, juste une bande de vieux aigris. Tu sais. Les vieux. Ce sont les pires.[Fin de l'interview]B.,Désolé de m'être arrêté chez toi quand tu n'étais pas là, mais j'ai pensé qu'il fallait que je retranscrive ça dans les livres dès que possible. J'ai oublié de te dire que je gardais une transcription de ça depuis 1995. C'est une bonne idée de relire ça de temps en temps. Parce que c'est X., tu sais.[Fin]Il semblerait que ce soit le seul témoignage de X. de ce que j'ai trouvé dans les cahiers jusqu'à maintenant. Tout comme le « Clan de l'adoration », je n'ai aucune idée de ce que ça pourrait être. Franchement, ça semble un peu bête et romancé. C'est vrai, au fait, que Yuga Park s'est détérioré avec le temps, et que maintenant c'est fréquenté par des prostituées et, comme vous pouvez le voir, par des gens qui cherchent de la drogue.


#Laura :)

N'ayez pas peur. [Réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant