Mon Frère. (11/11)

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Extrait du cahier #4 : «La guérison par la foi, part. III ».

Je crois que je me bats contre la dépression depuis longtemps maintenant.

Vous avez déjà fait un long trajet en bus sans avoir de destination précise ? N'importe quelle ville avec des bus est parfaite pour ça. Les sièges de bus vides la nuit sont les choses les plus tristes qui soient. C'était devenu une sorte de hobby pour moi de m'asseoir là et de regarder passer le décor de la ville.

Il est devenu facile pour moi de me déconnecter complètement du monde et de ses problèmes. J'ai une compréhension parfaite de mes responsabilités, des choses que j'ai à faire, des attentes de ma famille et tout. Mais je les repousse au fin fond de mon esprit. C'est comme si j'étais dans le brouillard. Cet hiver là je me suis assise tôt le matin dans l'herbe mouillée devant chez moi juste en regardant le décor fixe.

Je suis allée chez F. dans cet état d'esprit.

La maison est belle dans le genre délabré. C'est hors des sentiers battus, dans une rue abandonnée, qui donne sur le 5ème district. Le portail en fer noir à l'entrée la fait ressembler à un manoir hanté comme on en trouve en Europe. Le garde a remarqué ma présence et m'a ouvert le portail.

Je ratais encore les cours. Plus tôt dans la semaine j'avais déjà prévenu mon chef que je démissionnerais à la fin du mois. J'étais juste une interne de toute façon. Je pourrais trouver du travail autre part si je le voulais. Il m'avait regardée d'un air sévère en me disant qu'il était déçu. Je ne pense pas que j'étais très bonne au travail pourtant.

Je marchais dans le parc sur le chemin qui mène à la porte d'entrée de F. quand j'ai senti un tremblement dans mes jambes et un goût sucré bizarre dans ma bouche. C'était une sorte d'anxiété.

Il a ouvert la porte au moment où j'allais frapper. Il avait l'air de ne pas avoir dormi.

On a parlé de tout et de rien pendant un petit moment et il jouait avec ses cheveux. Mais quand on s'est assis dans le salon, avec le lecteur de musique poussiéreux et les bibliothèques pleines de toiles d'araignées, il s'est lâché. Il a sangloté. Je ne l'avais jamais vu dans cette état là. Je ne savais pas du tout comment réagir pendant les premières minutes. Je me suis juste assise en sirotant le café qu'il m'avait apporté. J'ai regardé nerveusement autour de nous pour voir si son père arrivait, ou peut-être X., mais à part nous la maison semblait vide. Je lui ai finalement demandé de se calmer mais il était abattu.

Il a enfin arrêté de pleurer et m'a expliqué ce qui s'était passé plus tôt ce matin. Il s'était réveillé et X. avait disparu avec la plupart de ses affaires, sauf quelques-uns de ses vêtements. Le lit où il avait dormi était renversé et faisait face au mur, comme si il avait été renversé par un vent puissant. F. dit qu'il avait entendu des bruits bizarres la nuit d'avant.

Il m'a ensuite amenée au patio. J'ai reculé de quelques pas, en essayant de réfléchir à tout ça. Quand il a ouvert la porte de la cuisine, une odeur puissante m'a frappée. C'était l'odeur de la décomposition.

Drogo, le chien de F., gisait au milieu du patio. Un pigeon essayait d'arracher son œil gauche.

J'ai instinctivement reculé et effrayé l'oiseau. Je m'étais rapidement habituée à l'odeur. Drogo n'était pas mort depuis longtemps. J'ai observé son corps gris. Il n'y avait aucune marque visible. Je me suis tournée vers F. qui avait l'air mortifié.

Il a dit qu'il avait découvert le corps ce matin. Il n'avait pas eu le cœur de le bouger. Je lui ai demandé si quelque chose d'autre manquait. Il m'a dit que l'œuf avait disparu.

Je ne voulais pas croire à ce qu'il pensait.

Après le choc initial on est allés se promener dans la propriété et on a observé le portail, les murs, la porte de derrière. Aucun verrou n'avait été cassé et il n'y avait aucun signe d'effraction. Le père de F. avait un garde qui surveillait l'entrée jour et nuit. Ça semblait impossible que quelqu'un soit rentré sans que personne ne le remarque.

On a erré pendant une heure, cherchant une explication. Il m'a dit qu'il ne l'avait dit à personne à part moi. Il savait qu'il devrait le dire au reste du groupe, mais il voulait de l'aide sur quelque chose d'autre en attendant. Il voulait que je l'aide à incinérer le corps de Drogo.

La proposition semblait un peu morbide, et j'étais dégoutée à l'idée de toucher le corps. Mais F. avait l'air tellement abattu que je n'aurais pas pu dire non. Je savais que je n'irais pas en cours après ça ; j'étais déjà en train de rater mon année de toute façon. J'ai dit oui.

On a fait notre possible pour faire les choses respectueusement. Le corps était très lourd, alors on a dû utiliser le diable rouillé trouvé dans un coin du jardin. On a enfin mis le corps dans le fourneau, et F. a fermé la porte et allumé le feu.

Si F. avait vécu plus près de la ville, on aurait sûrement eu une douzaine de plaintes des voisins pour l'odeur et la fumée. C'était épais et noir, impénétrable. J'ai protégé mes yeux et couvert mon nez mais je ne pouvais détacher mes yeux du ciel, sur la colonne de fumée. F. restait silencieux à côté de moi. Ça a brûlé pendant une heure. On a pas dit grand chose.

Quand ça s'est terminé, F. m'a remerciée et m'a demandé si je voulais rester. Je me sentais bizarre à propos de tout ça. J'ai dit que je devais aller en cours et je suis partie. Il est resté sur le patio, là où il avait trouvé le corps de Drogo. J'ai fermé le portail derrière moi.

Mes habits sentaient la fumée. Puis ça m'a soudain frappé : X. avait disparu, quelqu'un était entré dans la maison de F. la nuit dernière et il était peut-être en danger. J'ai pensé à appeler F. et lui dire d'aller dormir à l'hôtel pendant quelque temps. Mais quand je suis rentrée chez moi, je me suis sentie mal et je suis tombée dans mon lit.

Je ne me souviens pas de mes rêves.

Je me suis réveillée à minuit, j'avais dormi 12 heures. La seule lumière dans ma chambre venait de mon téléphone. J'avais reçu une bonne vingtaine de messages de B., F., E., A. et N.
Ils disaient tous la même chose bien sûr. Le corps de X. avait été trouvé sur le rivage.

[FIN]

N'ayez pas peur. [Réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant