13 janvier, 5h32

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                                                  -     ----------------OPHELIE------------------


Il  dort.  Il  est  paisible,  serein. 

Lentement, la  lame  des souvenirs  la  submerge. 
Elle  ne  cherche pas à  la  retenir.  Elle  ne cherche  plus  à  la  fuir. 
Elle  est comme  la  marée du  Grand  Océan.  Elle  s'éloigne.  Mais,  elle  finit  toujours par revenir.  Vague  après  vague,  mètre après  mètre,  immuable,  elle  regagne la  grève. 

Elle  a dix  ans. 

L'air  respire  le  parfum  sucré des vieux  meubles en  bois.

Au  plafond,  des ombres.  Sur le  pas  de sa porte,  silencieuse,  la  silhouette d'un  petit  homme.  Il  se dandine  d'un  pied sur  l'autre.  Les mains  dans le  dos.  Il  n'ose pas entrer.  Il  a peur  et elle  le  sait.  Elle  entrouvre les couvertures. Son  petit  frère s'y  réfugie  sans  un  mot.  Peu à  peu,  la  respiration  de l'enfant  devient  profonde et régulière.  Elle l'envie  de pouvoir  si  facilement  trouver le  sommeil.  Elle  lui  envie  cette  sécurité  qu'elle  lui  procure  et qui  suffit  à  l'apaiser. 

Des éclats  de voix  s'échappent  du  bistrot  voisin. Elles se disputent une paires d'as. La vie  serait  si  simple  si  elle  pouvait  se résumer  à  une partie de cartes.  Puis,  c'est  au  tour du  moteur  d'une  auto  de  venir  troubler le  silence.  Qui  est  au  volant ?  Où  va-t-il  ?

Le calme  revient sur l'avenue.  Dans le  jardin  municipal,  où  elle  n'ira plus  jamais  jouer,   des chats hurlent.  Au  premier  étage,  les pleurs  étouffés de sa mère sont  couverts par les rires  télévisés. 

C'est ce qui  a été  le plus  difficile.  Admettre  que  la  Vie  peut  continuer.  Faire semblant de sourire.  Répondre aux exigences de la  normalité.  Effacer  les traces de sa présence.  Perdre doucement,  le  son  de sa voix,  la  chaleur  de son  sourire. 

Oui.  C'est  ce qui  a été  le plus  difficile. Accepter l'Inacceptable  pour  trouver un  sens à  l'Absurde. 

Les bravades,  la vindicte,  l'opprobre,  les calomnies,  les ragots des villageois. Tout  cela  n'a jamais  eu  d'importance.  Les gens sont prompts à  se repaître de la souffrance des autres.  C'est le côté  hideux  de l'Homme.  Celui qui  le  fait s'arrêter devant les amas de taules froissées où les maisons  en  feu. 
Ophélie  ravale  ses larmes.  Il  ne  faut pas pleurer.  Il  faut se battre. Toujours,  combattre.  Toujours,  tricher.

Comme  son  frère,  elle  se serre un peu  plus  fort  contre l'inconnu.  Elle  l'embrasse sur le  front.  Elle  le  sent sourire.  Et pour  un  petit  instant,  elle  est  en  paix.  Grâce à  elle,  il n'a plus  peur  des démons  qui  le  tourmentent.  Grâce à  lui,  elle  a moins  froid.  Il  fait  moins  vide. 

Pour  un instant,  lui  et  elle  se sont  tenus  en  vie.  L'un  par l'autre,  ils  ont  repoussé l'échéance. 

Vivre,   vivre,  vivre ....

OPHELIEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant