Martin remonte le col de son blouson. Il fait encore froid en ce début du mois de mai.
Le ciel gris roule ses épais nuages. La bruine s'intensifie.
Porté par la colère, Martin marche d'un pas décidé.
L'après-midi au studio ne s'est pas déroulée comme il l'aurait souhaité.
Depuis le début des enregistrements, Paolo lui reproche son attentisme.
Tel une boite à rythme, son manager leitmotive à qui mieux-mieux : « Il y a presque un mois maintenant que tu n'as plus aucune nouvelle » ; « Tu as cherché partout et tu ne l'a trouvé nulle part. » ; « C'est à croire qu'elle n'a jamais existé. » ; « Arrête tes conneries et rends toi à l'évidence ! » ; « Cette Gamine t'a mené en bateau » ; "Tu ne vas pas l'attendre le reste de ta vie ?"; « La seule chose qui m'étonne , c'est qu'elle n'ait pas déballé votre histoire dans les journaux. »
Ces phrases, c'est tous les jours que Martin doit les battre en brèche. Tous les jours, qu'il doit les contrer, les réduire, les faire taire.
Il le sait. Ophélie est là, quelque part, dans ces rues grises ; et, cette Ophélie, Son Ophélie, ne ferait jamais une chose pareille.
Plongé dans ses pensées, il emprunte le « Pont des Enchaînés ».
Il sourit.
Quand il lui avait demandé pourquoi elle le surnommait ainsi, elle avait levé un sourcil amusé :
- " Regarde tous ces cadenas enchainés les uns aux autres. Si, ça, ce n'est pas de l'esclavage amoureux !"
Elle avait rit en s'éloignant. Penaud, il en avait profité pour jeter à l'eau le cadenas qu'il venait d'acheter.
Son cœur se serre de trop se souvenir.
Il soupire.
Il s'arrête près du réverbère. Son regard coule de toit en toit.
Au loin, on devine Notre-Dame, plus près, la Samaritaine*.
« ON TROUVE TOUT A LA SAMARITAINE !** »
Si seulement, il pouvait y retrouver Ophélie...
Sur la Seine, une péniche à touristes remonte en silence. Elle longe la pointe du Vert-Galant. Les feuilles vert-tendre du square sont comme fluorescentes dans le ciel blanc.
Soudain, tout son corps s'électrise.
Là-bas, au pied du vieux peuplier, une silhouette qu'il ne connait que trop bien est assise. Immobile, les genoux repliés contre sa poitrine, les bras serrés autours de ses genoux : elle parait irréelle.
Sans réfléchir, il traverse le Pont d'un pas vif.
Il descend l'escalier qui conduit au Quai de Conti.
A chaque mètre, le visage de la fée se dessine un peu plus.
Martin lui fait signe. Elle ne le voit pas. Elle ne bouge pas.
Petit chose immobile si proche de l'eau, trop proche de l'eau...
Il remonte à la hâte une volée de marches. Il bouscule quelques parapluies hagards.
A bout de souffle, il se penche sur les garde-fous du Pont-Neuf. Il ne veut pas la quitter des yeux. Il craint qu'elle s'évapore, qu'elle disparaisse, encore.
Il dévale le passage qui conduit à la pointe de l'ile. Il ignore tout, les gens qui lui entrave la route, Henry IV perché sur son destrier, la plaque commémorative en l'honneur du supplice de Jacques de Molay.
Il manque de trébucher sur les pavés irréguliers.
Hors d'haleine, il s'appuie enfin à la grille verte.
Le vent à redoublé.
Elle est toujours là. Recroquevillée, ses cheveux noir flottant autour d'elle.
Elle ne l'a pas entendu.
A la fois poussé par ce besoin viscéral de la toucher et la crainte que ce ne soit qu'un mirage, il s'avance prudemment. Cet instant, il y a des jours, des siècles qu'il l'attend.
Il fait encore quelques pas :
- Ophélie ? s'entend-t-il demander d'une voix brisée.
Elle ne se retourne pas.
- Ah, c'est toi, murmure-t-elle comme si elle s'y attendait, comme s'ils s'étaient quittés la veille, comme s'ils s'étaient donnés rendez-vous aujourd'hui.
Il s'assoie près d'elle. Elle pose sa tête contre son épaule.
Il l'attire timidement contre lui.
Elle se laisse faire.
Il la serre dans ses bras. Il la berce doucement.
Elle noue ses doigts aux siens.
- Ou étais-tu ?
Elle tourne son beau visage vers lui.
"Mon dieu, comme elle est froide et comme ses yeux sont pâles..." songe-t-il.
- On finit par se faire à tout, Martin, même à sa propre destinée.
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* La Samaritaine : Magasin emblématique de Paris.
** Slogan de La Samaritaine.
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OPHELIE
Short Story"Ne laisse pas ta flamme s'éteindre, étincelle après précieuse étincelle, dans les eaux putrides du presque, du pas encore ou du pas du tout. Ne laisse pas périr ce héros qui habite ton âme dans les regrets frustrés d'une vie que tu aurais mérité, m...