Surplombant les Buttes Chaumont, Martin regarde son Ophélie penchée sur la balustrade.
- Qu'est ce que tu fais ? s'inquiète-t-il.
- J'oublie que je suis en ville, sourit-elle
Il s'approche d'elle et l'amarre solidement contre lui.
- Je ne vais pas tomber, tu sais ?
- Je sais.
Elle reporte les yeux sur le parc.
Deux mois et trois jours aujourd'hui qu'ils se sont rencontrés.
Deux mois et trois jours qu'il capture les poussières d'informations qu'elle laisse s'échapper.
Fidèle à ses convictions : Ophélie se borne à vivre au Présent.
Elle ne fait jamais référence à son Passé.
Elle ne se projette jamais dans son Futur.
Elle joue les funambules sur la ligne du Temps.
Cependant, à force de patience, Martin a réussi à rassembler les quelques tessons de la mosaïque éclatée.
"Le Soleil lui manquait."
"Paris ressemblait à un « mixeur d'humanité »".
Seulement, dans sa bouche, la remarque aurait pu sonner comme un reproche : en était-ce vraiment un ?
Elle le lui avait déjà dit : Elle n'était pas "d'ici".
Elle était "d'ailleurs".
Et, cet "Ailleurs" brillait quelque part en province et manquait à son cœur.
Les rares dessins griffonnés à la hâte et qu'il avait pu entrapercevoir sur son horrible carnet, l'avait convaincu, un temps; qu'elle était étudiante dans une école de graphisme, les beaux arts, peut-être.... Rien de probant, en tout cas ....
Son indépendance était de loin sa priorité. Il lui arrivait de sortir à des heures indues.
Elle ne lui demandait aucun compte et Elle ne lui en rendait aucun.
C'était donnant, donnant.
Elle pouvait disparaitre quatre, cinq ou six jours d'affilés :
- Elle ne donnait pas de nouvelles.
- Elle ne daignait pas répondre pas à ses appels.
- Quant à savoir ce qu'elle faisait: c'était un mystère.
Au tout début, il avait pensé à la suivre, la faire suivre où quelque chose comme ça.
Et puis, il s'était trouvé ridicule.
Elle avait besoin de lui faire confiance.
De tels procédés risquaient de mettre en péril le fragile équilibre qu'ils avaient instauré.
Lui soutirer des informations, c'était aller contre son gré.
Et aller contre son gré était la meilleure façon de la perdre.
********
Elle frissonne.
- Qu'est-ce que tu as ?
- Parfois, j'aimerais que le Temps se fige...
Il fronce les sourcils:
- A la longue, ça deviendrait frustrant, tu ne crois pas ?
- Pas forcément. Peux-tu affirmer que nous serons un jour plus heureux qu'à cet instant ?
- Pourquoi ça ne serait pas le cas ?
Elle se retourne pour lui faire face.
L'air grave, elle dit :
- L'Existence repose toute entière sur ce principe simple : Demain sera nécessairement meilleur qu'aujourd'hui. Et, si c'était faux?
Un courant glacial remonte le long de la colonne vertébrale de Martin.
Elle poursuit :
- Si, à ta naissance, on te disait que tu as la possibilité de figer le Temps. Une fois. Rien qu'une seule fois ; sachant que, tu peux perdre tout ce qui peut advenir dans le Futur - le Bon comme le Mauvais: Que ferais-tu ?
- C'est une question qui n'a pas de sens, souffle-t-il prudemment.
- Qu'est-ce que tu choisirais ? insiste-t-elle. Prendrais-tu le risque de poursuivre la Vie alors que demain peut-être un cauchemar ?
- Demain pourrait être prometteur. Alors, oui, souffle-t-il après quelques secondes, je prendrai le risque. Pas toi ?
Elle pose ses immenses yeux vert sur lui.
Elle lui caresse la joue de sa main fraiche.
Elle incline la tête sur le côté et, ce faisant, elle sourit :
- C'était ma question. Pas la tienne.
VOUS LISEZ
OPHELIE
Short Story"Ne laisse pas ta flamme s'éteindre, étincelle après précieuse étincelle, dans les eaux putrides du presque, du pas encore ou du pas du tout. Ne laisse pas périr ce héros qui habite ton âme dans les regrets frustrés d'une vie que tu aurais mérité, m...