Ophélie et Martin

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Sa peau douce frémit contre la sienne.

Bientôt, elle va partir.

Elle finit toujours par s'échapper.

Plus il tente de la retenir, plus elle s'éloigne.

Elle est comme l'eau ; fuyante, brillante, insaisissable.

Mais, pour le moment, elle est présente.

Elle est avec lui.

Elle est auprès de lui.

Sa tête de fée repose au creux de son épaule.

Il caresse ses cheveux d'une main distraite.

Peut-être est-ce le moment de lui parler « D'eux » ?

- Quelque chose te chagrine.

Il n'y a pas de question dans la voix enfantine. C'est un constat. Un constat, froid.

Il soupire.

« C'est étrange quand le silence n'est plus un allié. »

- Tu y crois, toi ? lui demande-t-il.

Il ne discerne que le battement rapide de ses cils. Elle mêle ses doigts aux siens. Ils sont si petits dans sa main. S'il le souhaitait, il pourrait les broyer, un à un, sans qu'elle ne puisse rien faire.

Il pourrait la contraindre. Il pourrait même  l'obliger. 

- Mes seules certitudes, souffle-t-elle, c'est que les enfants grandissent. Leurs fous rires s'estompent et;  avec eux, leur Innocence et leurs Idéaux. Les enfants deviennent des adultes. Les adultes deviennent des vieillards. Des vieillards de principes, bien sûr ...

Martin inspire profondément.

Ophélie a le don pour détourner les conversations.

- Non, ce que je te demande, c'est « nous ». Est-ce que tu crois en « nous » ?

Elle roule sur le côté. Elle lui tourne le dos. 

- « Ils » disent que je suis excentrique, souffle-t-elle.  Pourtant, je ne me sens pas si différente « d'eux ». Pour moi, ce sont « eux », les personnes étranges. Ce sont « eux » , qui mentent tout le temps. « Eux », qui émettent des jugements sans prendre la peine de se pencher sur la question. Et, « Ils » ont toujours le doigt « sentencieux ». Il y a toujours des « il faut », ou des « tu dois » qui dégoulinent de leurs bouches.

Martin fronce les sourcils.

« De qui, Diable, parle-t-elle ? »

- Les gens ! Tous ceux qui sont dehors, là-bas !

Elle fait un geste de la main en direction de la fenêtre.

- Ceux qui marchent en ce moment sur les trottoirs. Ceux qui sont assis dans les bus. Ceux qui courent derrière les métros ou font la queue dans les grands magasins. Tous ces gens sont seuls. Ils fréquentent des lieux plein de monde afin de se persuader du contraire. Mais, ils sont seuls.

Plus la pièce est comble, plus le monde est vide ....

Elle laisse libre cours à sa pensée :

- Tu sais ? Parfois, je m'arrête. Je les regarde. Je les observe. Ils vont et ils viennent. Ils se heurtent. Ils se bousculent. Ils s'ignorent. Ils se sourient. Ils s'injurient, aussi.

Mais, deux mètres plus tard, ils ont déjà oublié le visage de l'altercation.

Elle reprend son souffle. Sa voix se fait plus basse, plus grave. Elle tourne son joli minois vers lui.

Jusqu'ici,  il  n'avait  jamais  remarqué les étoiles de rousseurs sur son nez. 

- La vérité, c'est que je n'en sais rien, murmure-t-elle, cruelle. La vérité, c'est que je ne sais pas. 

Elle tremble.

- Tu as peur ?

- Non.

- Tu as froid ?

- Tout le temps.

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