Quartier de l'horloge, Paris.
Ils entrent dans un petit bistrot. L'endroit est quelconque, tranquille, paisible.
Elle se réfugie sur une banquette. Elle a étiré sur ses mains les manches de son pull informe.
Martin pousse vers elle une assiette rebondie de croissants.
Elle décline.
Il la sonde.
Amarrée à sa tasse de cappuccino, elle laisse flotter son esprit à l'extérieur du café.
- Elle ne fonctionne pas ?
De l'autre côté de la rue, le Défenseur du Temps* est suspendu. Pétrifié, le glaive à la main, l'automate tient en respect, trois chimères figées.
- Non.
- Alors, dit-elle, songeuse. C'est comme si le temps n'existait plus.
- Qu'est-ce que tu fais à Paris ?
- J'essaye de vivre, répond-t-elle, distraite.
- Et vivre de quoi ?
Elle lui jette un regard noir.
- Je suis serveuse.
- Tu travaillais l'autre soir ?
Elle ne répond pas. Il insiste :
- Est-ce que tu travaillais quand on s'est rencontré ?
Méfiante, elle hoche la tête.
- D'où viens-tu ?
- J'ai déjà répondu à cette question.
- Tu n'as pas confiance en moi ?
Elle ne répond pas. Ça devient exaspérant.
- Tu passes la nuit chez moi. On se revoit le lendemain. Aujourd'hui, nous rentrons en douce dans le Musée Pompidou et, toi, tu n'es toujours pas persuadée que tu peux me faire confiance ?
- C'est différent, murmure-t-elle en faisant glisser sa tasse d'une main à l'autre.
Il s'humecte les lèvres. Ophélie n'est pas bavarde.
Il allume une cigarette. Elle n'est pas bavarde et elle le balade.
Il la foudroie:
- Tu réalises que la plupart des femmes ne ramassent pas des ivrognes sur la voie !grogne-t-il, dents serrées. Elles ne laissent pas leur numéro sur un mot avant de disparaitre ! Et elles ne s'introduisent pas, NON PLUS, dans des lieux interdits au public pour voir le jour se lever. Je peux savoir à quoi tu joues, bordel !
Elle explose :
- Je ne joue pas et je ne suis pas « tout-le-monde »! Et toi non plus, ajoute-t-elle avec une moue enfantine. Toi non plus, tu n'es pas « tout-le-monde "!
Débordé par la colère qui bouillonne au fond des prunelles vertes, Martin dégluti .
- Très bien, concède-t-il. Tu ne veux pas me dire ni, qui tu es, ni d'où tu viens. Mais, je pourrais me renseigner. Après tout, je vis à Saint-Germain depuis un bout de temps, maintenant et ....
Elle hausse les épaules :
- Qu'est-ce que ça t'apporterait ?
Il tire une longue bouffée sur sa Gitane.
- C'est moi qui devrait me méfier et non l'inverse.
- Peut-être.... Mais, ça n'a pas d'importance au fond.
- Qu'est-ce qui n' a pas d'importance ?
- Tout ça .
- Tout ça, quoi ? De quoi tu parles ?
- Tout ce que tu veux savoir.
Elle lui vole sa cigarette et aspire à son tour.
- Bien sûr que c'est important !
- Non, absolument pas ! réplique-t-elle, butée.
Elle se rassoie. La tête basse :
- Ce n'est pas d'où je viens qui est important, ni qui je suis. Ni qui tu crois que je suis. Ce qui est important, c'est maintenant.
Elle s'emballe :
- Ce n'est pas demain. Ce n'est pas hier. Hier est passé, c'est terminé, c'est écrit. Demain est à venir.
Elle bafouille :
- Et, pe ... Peut-être que je vais disparaitre... Peut-être qu'on ne se reverra plus. De toute façon, on ne connait jamais bien les autres .
Elle lui tend la cigarette et termine sa boisson.
Elle se lève.
- Qu'est-ce que tu fais ?
- J'ai beaucoup aimé voir le soleil ce matin.
- Où tu vas ? Tu vas travailler ?
- Non.
Elle se penche et dépose un rapide baiser sur ses lèvres.
Elle s'éloigne. Elle s'en va. Elle s'échappe.
- On se revoit quand ?
- Quand tu auras retrouvé ta musique.
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*http://patrimoine-horloge.fr/jac-monestier-defenseurtemps.html
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OPHELIE
Short Story"Ne laisse pas ta flamme s'éteindre, étincelle après précieuse étincelle, dans les eaux putrides du presque, du pas encore ou du pas du tout. Ne laisse pas périr ce héros qui habite ton âme dans les regrets frustrés d'une vie que tu aurais mérité, m...