13 janvier, 16H33

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-  Tu  sais,  je n'ai  pas  toujours  été comme ....ça.

-  Personne  naît  en étant.  Tout  le  monde devient  par la  force du  temps,  fredonne-t-elle.


Elle lui  prend la  main. Silencieuse,  elle  déplie  un à  un  chacun  de ses doigts.   De l'index,  elle suit les lignes qui  sillonnent sa paume. 

-  Que  fais-tu ? grogne-t-il, mi-amusé,  mi  inquiet. 

-  Je m'assure que  tu  ne  mens pas

Il  fronce les sourcils. 

-  C'est  absurde.  Je ne crois  pas à  ce genre de choses. 

-  Moi  non  plus,  concède-t-elle  en  haussant les épaules. 

Il  la  regarde poursuivre son  examen. 

-  J'ai cru que  tu ne viendrais pas, hasarde-t-il. 

Absorbée,  elle  ne répond pas.  Elle est plutôt  jolie  avec son  visage en  forme de cœur,  avec ses longs cils  noirs qui  papillonnent,  avec ses cheveux  sombres et bouclés qui  cascadent autours d'elle.

-  C'est  ta  faute,  murmure-t-elle  sans le lâcher. 

Comme il  ne dit  rien.  Elle  précise:

-  Si "Elle" est  partie,  c'est de ta faute,  tu  sais ? 

Il  déglutie.  Ses yeux ne sourient plus. 

-  Ce n'est pas vraiment que  tu l'aime plus,  continue-t-elle. 

Il  inspire profondément:

-  J'ai  horreur  de l'échec.

--  Tout  le  monde à  peur de l'échec.  Mais,  toi,  ce n'est  pas l'échec qui  te  tourmente...

Il  se raidit:

-  C'est  ridicule,  tu  ne me  connais pas. 

Elle plonge  ses yeux  dans les siens.  Une demi-seconde.  Rien  qu'une demi-seconde. 

 -  Maintenant,  souffle-t-elle,  je  te  connais. 

Décontenancé,  il  referme  brutalement son  poing.   

-    Tiens  donc ! Et  moi  qui croyais  que  tu n'y  croyais  pas !

Il  n'y  a pas d'ironie  dans les yeux  vert. Il  plisse le front :

-  D'où viens-tu  ? 

-  Je suis  d'ailleurs.

Elle regarde sa petite  cuillère tourner dans sa tasse.

-  On est tous  d'ailleurs. Ailleurs,  ce n'est  pas une réponse. 

-  C'est pourtant la mienne. 

-  T'appelles-tu  vraiment  Ophélie.  

Elle relève brusquement la  tête.  Un peu  comme  si  elle était  outrée qu'il  mette  sa parole  en  doute. 

-  Bien  sûr ! 

Comment ne peut-elle pas avoir  conscience du  mystère qui  émane  d'elle  ? 

-  Et  bien  " Ophélie";  pourquoi   m'avoir  reconduit  chez moi ? 

-  Je ne  sais pas.  

Elle  amasse les grains  de sucre du  bout  de son  index.  Puis,  défiante,  elle  ajoute  très  vite :

-  Peut-être parce  qu'il  y a des choses qui m'insupporte.

-  Comme quoi  ? 

-  Comme   des talents gâchés par tristesse.

-  Et  si  elle  est  nécessaire,  ma  tristesse?

-  Pour  composer ?  demande-t-elle,  surprise.

-  Oui.  Oui,  pour  composer,  par exemple. 

Elle se mord les lèvres.  Elle  fronce son  petit  nez:

-  Alors,  j'aurai  fait  preuve d'égoïsme....

Le chanteur  incline  la  tête.  C'est  comme  s'il  essayait de voir  à  travers.  Voir,  plus loin  que  cette  façade énigmatique.  Soudain,  il  se lève.  Il  fourrage dans  sa poche. Il  jette  quelques pièces sur la  table.  Il  attrape  la  main  d'Ophélie  et l'entraine  sur le  Boulevard. 

OPHELIEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant