13 janvier, 10h14*

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                                                               ------------ OPHÉLIE----------------

Ophélie   fixe l'écran   lumineux  de son  cellulaire. 

A  quoi  s'attendait-elle  ?  Ne lui  avait-elle  pas  laissé son  numéro  pour  qu'il  l'appelle  ?

"Demain,  il  ne se souviendra plus  de vous."

La phrase du  chauffeur  tourne en  boucle  dans sa tête. 

D'une  certaine  façon,  c'est ce qu'elle  avait  espéré,  qu'il  ne la  rappelle  pas.  Qu'il  l'oublie. 

Quant  on oublie,  on  ne s'attache pas.  C'est  sécurisant,  l'Oubli.  C'est  comme  une  cloison  étanche :  ça évite  de sombrer. 

Mais  alors,  pourquoi  lui  laisser son  numéro  ? 

Par  envie  ? 

Peut-être ....

Par désir ? 

Sûrement ....

Par peur,  aussi.  Mais,  peur  de quoi  ? 

Son  estomac se noue. 

Peur  que la  Vie  le quitte, aussi  ?

Et,  alors ?  En quoi  cela  la  concernait-elle ?  Ils ne se connaissaient pas.  Objectivement,  qu'étaient-ils l'un  pour  l'autre ?  Qu'étaient-ils  si  ce n'est deux  entités  en  quête d'un  peu  de chaleur  humaine? 

Dans sa main,  le portable  s'éteint. 

Elle  revient au  présent. Elle  jette l'appareil sur  le  lit.  Elle  dépose  son  sac sur une  chaise.  Elle entre dans la  salle  de bain. Elle  tourne  le  robinet.   Elle  ôte son  chemisier.  Les mains appuyées sur  le  revers du  lavabo,  elle fait  face au  miroir.  Les gens pensent  que  ses yeux sont  marrons. Ils  ont tord.  Le plus  souvent,  les  gens se contentent de voir sans prendre la peine  de regarder.  Est-ce que  l'Espèce Humaine  n'est faites  que  pour  appréhender l'autre dans sa globalité ? 

Elle soupire. 

Son teint  caramel  s'est estompé  depuis  qu'elle  a  posé ses bagages à  Paris.  Sa peau  est si claire  qu'elle  n'atténue  plus les deux grands cernes bleus  sous ses yeux. 

Elle  s'oblige  à  soutenir  son  regard.  Parfois,  si  elle  insiste suffisamment,  elle  finit  par ne plus  se reconnaitre.  C'est  alors que  l'étrangère  apparait.  L'étrangère  à  des allures d'enfant  grave.  Elle  n'est pas très  jolie.  Non,  elle  n'est pas très  jolie.  Mais sa mélancolie  la  rend belle  comme  une poésie. 

Ophélie  congédie  son  double  d'un  battement  de cil.  Elle laisse glisser sa jupe  sur le  carrelage.  Dans la  baignoire  étriquée,  l'eau  brûlante joue  de remous.  La jeune  femme  s'enfonce dans son  brouillard. Attisé par la  douleur,  sa peau  s'électrise.  Le mal  court  sur son  épiderme.  Elle  laisse le  feu  la  brûler.  Elle  renverse sa tête en arrière  jusqu'à  ce que  le  liquide recouvre entièrement son  visage.  A l'abri  du  cocon,  elle  écoute les sons  asphyxiés :  Hurlements du  couple dans le  meublé  voisin,  patrouilleurs inconnus parcourant le  ciel,  ambulances filant toutes sirènes hurlantes vers un  nouveau  drame.  L'eau  apaise tout.  Elle  atténue  l'horreur.  Elle  régénère  l'âme,  elle  protège  le  corps  d'un  grand châle.  L'eau  atténue  presque tout.  Seuls  subsistent  les battements du  cœur  étranger sursautant dans sa poitrine. 

OPHELIEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant