------------ OPHÉLIE----------------
Ophélie fixe l'écran lumineux de son cellulaire.
A quoi s'attendait-elle ? Ne lui avait-elle pas laissé son numéro pour qu'il l'appelle ?
"Demain, il ne se souviendra plus de vous."
La phrase du chauffeur tourne en boucle dans sa tête.
D'une certaine façon, c'est ce qu'elle avait espéré, qu'il ne la rappelle pas. Qu'il l'oublie.
Quant on oublie, on ne s'attache pas. C'est sécurisant, l'Oubli. C'est comme une cloison étanche : ça évite de sombrer.
Mais alors, pourquoi lui laisser son numéro ?
Par envie ?
Peut-être ....
Par désir ?
Sûrement ....
Par peur, aussi. Mais, peur de quoi ?
Son estomac se noue.
Peur que la Vie le quitte, aussi ?
Et, alors ? En quoi cela la concernait-elle ? Ils ne se connaissaient pas. Objectivement, qu'étaient-ils l'un pour l'autre ? Qu'étaient-ils si ce n'est deux entités en quête d'un peu de chaleur humaine?
Dans sa main, le portable s'éteint.
Elle revient au présent. Elle jette l'appareil sur le lit. Elle dépose son sac sur une chaise. Elle entre dans la salle de bain. Elle tourne le robinet. Elle ôte son chemisier. Les mains appuyées sur le revers du lavabo, elle fait face au miroir. Les gens pensent que ses yeux sont marrons. Ils ont tord. Le plus souvent, les gens se contentent de voir sans prendre la peine de regarder. Est-ce que l'Espèce Humaine n'est faites que pour appréhender l'autre dans sa globalité ?
Elle soupire.
Son teint caramel s'est estompé depuis qu'elle a posé ses bagages à Paris. Sa peau est si claire qu'elle n'atténue plus les deux grands cernes bleus sous ses yeux.
Elle s'oblige à soutenir son regard. Parfois, si elle insiste suffisamment, elle finit par ne plus se reconnaitre. C'est alors que l'étrangère apparait. L'étrangère à des allures d'enfant grave. Elle n'est pas très jolie. Non, elle n'est pas très jolie. Mais sa mélancolie la rend belle comme une poésie.
Ophélie congédie son double d'un battement de cil. Elle laisse glisser sa jupe sur le carrelage. Dans la baignoire étriquée, l'eau brûlante joue de remous. La jeune femme s'enfonce dans son brouillard. Attisé par la douleur, sa peau s'électrise. Le mal court sur son épiderme. Elle laisse le feu la brûler. Elle renverse sa tête en arrière jusqu'à ce que le liquide recouvre entièrement son visage. A l'abri du cocon, elle écoute les sons asphyxiés : Hurlements du couple dans le meublé voisin, patrouilleurs inconnus parcourant le ciel, ambulances filant toutes sirènes hurlantes vers un nouveau drame. L'eau apaise tout. Elle atténue l'horreur. Elle régénère l'âme, elle protège le corps d'un grand châle. L'eau atténue presque tout. Seuls subsistent les battements du cœur étranger sursautant dans sa poitrine.
VOUS LISEZ
OPHELIE
Short Story"Ne laisse pas ta flamme s'éteindre, étincelle après précieuse étincelle, dans les eaux putrides du presque, du pas encore ou du pas du tout. Ne laisse pas périr ce héros qui habite ton âme dans les regrets frustrés d'une vie que tu aurais mérité, m...