5. Jen

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     Lorsque j'avais vu l'image sur la télé, mon sang n'avait fait qu'un tour. Les lycéens autour de moi semblaient prendre l'affichage à la rigolade, sans avoir ne serai-ce qu'un seul soupçon sur ce qui ce passait. Mais je savais. J'avais parcouru les recherches de mon père, retenu plusieurs passages des innombrables thèses et expériences qu'il avait effectué. Je savais... mais ça ne m'empêchait pas de me glacer le sang. Je les voyais traverser le Mur. Ils envahissaient, mais d'une manière totalement ridicule : ils se bousculaient, simple coquilles à l'état végétatif.

     J'étais obsédée par les images exposées, les ancrant dans ma rétine. Je réalisai seulement que personne ne comprenait réellement l'ampleur de ce qui se passait quand Alissa fit des mimiques écœurées, se moquant d'eux. Je dis rapidement : 

 — Alissa, il faut qu'on rentre, ces... choses...

 — Eh mais déstresse, Jen ! dédramatisa-t-elle. Ce sont seulement des acteurs, ça se voit, ils jouent tellement mal, n'importe qui devinerait que c'est juste un film de mauvais goût.

     J'allais essayer de la convaincre, je voulais lui dire qu'elle ne s'en sortirait pas si elle ne me laissait pas m'expliquer, que tout était perdu pour nous, les humains, que le monde allait changer, qu'on ne se reverrait peut être plus, qu'on ne risquait pas de vivre longtemps... Je voulais lui dire tellement de choses. Mais je n'en eu pas le temps. Le bruit d'hélicoptères me surpris lorsqu'un élève ouvrit la porte coulissante du hall, et je tournai la tête, apercevant vaguement les engins se stabiliser au dessus de plusieurs toits des maisons de la ville. Le temps de me retourner, elle me saluait énergiquement et partait rentrer chez elle, se fondant dans la foule avant que je puisse réagir. Je partie en courant après elle, mais je percuta une personne pour la deuxième fois de ma journée et lâchai le trieur que j'avais coincé entre mon bras et ma poitrine. L'adolescente qui m'avait bousculée s'excusa d'une voix douce et ramassa le trieur échoué. Elle me le tendit avec un moment de décalage. Je m'excusai tout en la remerciant. Du coin de l'œil je vis ma meilleure amie commencer à descendre la colline de notre lycée.

     Il faut vite que j'aille chercher Alissa...

 — Tu devrais rentrer chez toi, conseillai-je à la brunette que j'avais percutée, les temps ne sont plus très sûrs...

     J'allais repartir à toute vitesse quand elle me retint par le bras, me fixant de ses yeux verts saisissants.

 — Justement... Ton nom de famille ne serait pas Kay ? Comme... Edward Kay ?

     Je me figeai. Comment est-ce qu'elle connaissait mon nom de famille ? Et surtout, le prénom de mon père... Seul mon cousin et moi étions plutôt connus dans le lycée (je l'étais surtout parce que j'étais la cousine du "grand" Daniel), le reste de ma famille restant dans l'ombre, se faisant oublier auprès des voisins. Personne, au grand personne, de censée, autre que ma famille n'aurait pu donner ce nom. Reprenant mes esprits, je lançai, suspicieuse :

 — ... Oui. C'est mon père. Pourquoi ?

     Elle ne cacha pas la surprise s'étalant sur son visage, et avant que je puisse dire ou faire quoique ce soit, elle m'empoigna fermement.

 — Alors il faut qu'on parle !

     Et elle me tira, m'éloignant sans le savoir d'Alissa. Mais je sentais que je devais écouter ce qu'avais à me dire la fille qui m'avait empoignée. Peut être n'aurais-je du pas l'écouter, toujours est-il que je me fiais toujours à mon instinct, et ça ne risquait pas de changer.

     Je croisais les doigts de tout mon cœur pour qu'elle reste en vie.

—~*~—   

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