La lumière tombe sur le monde comme un drapé délicat. Une pluie dorée venue des cieux, tel Zeus séduisant Danaé. Pourtant en ce lieu, il n'y a rien à séduire.
L'homme plisse les yeux tandis que le soleil intense l'éblouit. Il n'a plus eu à subir telle clarté depuis plus de dix ans. Sur l'île d'Azkaban, il semble régner un microclimat générateur de tempêtes perpétuelles, de nuages noirs agglomérés dans le ciel, de sel et de froid, un monde coupé du monde où la société s'évanouit, où l'univers établit de nouvelles règles, de nouvelles lois. La loi du plus fort.
L'homme l'a appris à ses dépens. Il sait à présent que derrière chaque action se cache un dessein, qu'il n'existe aucune gentillesse en ce monde qui ne soit intéressée, aucune beauté qui ne soit vouée à mourir et à se flétrir pour révéler quelque chose d'autre, quelque chose de noir et d'abominable.
C'est pourquoi, l'homme ne s'émeut pas devant le spectacle des quais ensoleillés. Le bateau qui lui a fait quitter l'île n'a fait que le transférer d'un enfer à un autre. L'enfer, en vérité, n'est peut-être pas un lieu. Il le porte en lui.
L'espace d'une seconde, peut-être deux, l'homme saisit la poésie de l'instant, qui semble avoir changé le monde en une statue de verre, attendant le soleil pour la sublimer. Mais à présent, en cette froide matinée d'hiver, le soleil passe : un nuage est venu l'occulter, et l'homme ne voit plus que la neige ramassée en dégueulis boueux le long de la chaussée, les poubelles grouillantes des maisons abandonnées, les cadavres de poissons laissés pourrir là par les pêcheurs, dans leur hâte de ramener leurs filets... L'homme perçoit tous ces relents de merde et de civilisation se mêler entre eux pour ne former plus qu'un, à égalité. Les mêmes éléments d'une même équation. Cela non plus, cela ne l'émeut pas. Ses sens ont subi mille fois pire au cours des dix dernières années.
Regardant autour de lui, l'homme allume la dernière cigarette qu'il lui reste en réserve. Sa première inspiration en tant qu'homme libre a des relents de nicotine et de bestiole crevée. Le contact de ses vêtements civils l'irrite. Il n'a rien porté d'autre qu'un pyjama rayé au cours de la décennie qui vient de s'écouler : par tous les temps, qu'il neige, qu'il pleuve ou qu'il vente, et le chanvre a attaqué sa peau jusqu'à la rendre plus rêche que de la corne. Les vêtements qu'on lui a remis pour sortir sont trop doux, en comparaison. Ce sont ceux qu'il portait au procès. Ceux qu'il portait à son arrivée sur l'île.
Une chemise en lin, un pantalon et une veste assortis. Des mocassins. L'homme a presque envie de rire en se voyant habillé ainsi. Il se sent comme une caricature de lui-même. Un mensonge, à la face du monde... Ce ne serait pas le premier. Et certainement pas le dernier.
L'homme écrase sa cigarette sur le sol et réfléchit rapidement. Que faire maintenant ? Il n'a nulle part où aller. Personne à retrouver. A part les petits chiots du Ministère, qu'il a déjà repérés en train de l'espionner à l'autre bout de l'allée. Ces connards se croient discrets, perchés en haut des immeubles défoncés. Ils devraient savoir que l'homme a pris l'habitude d'être surveillé. Il sent lorsqu'on l'observe, il connaît le poids d'un regard pesant sur sa nuque, et son instinct ne le trompe pas. Là d'où il vient, savoir que l'on est suivi est une question de vie ou de mort. Ces gardes-chiots du Ministère croient peut-être l'avoir cueilli à la sortie d'Azkaban, mais ils ne lui colleront pas aux basques bien longtemps.
Malgré lui, l'homme gratte sa peau à vif sous le col trop propre de sa chemise en lin. Première chose à faire : se débarrasser de ces fringues. Trouver quelque chose qui se fonde davantage dans le paysage. Et ensuite... qui sait ?
L'homme esquisse un sourire. Ce n'est plus le sourire d'autrefois, rempli de l'arrogance de la jeunesse, mais le sourire d'un homme qui sait ce que peut coûter un tel geste. Il sourit en tirant la baguette qu'on lui a rendue de sa poche. Lentement, il la fait tourner entre ses doigts.
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Sunlight
FanfictionA la fin de la guerre, Drago Malefoy est condamné à l'emprisonnement. Dix ans plus tard, Harry Potter l'attend à la sortie d'Azkaban. (Attention, scènes violentes et slash multiples.)