Réinsertion

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L'hôtel a des relents de peinture fraîche et de couvertures mitées. Un curieux contraste entre vieillerie et modernité. Comme tout ce qui touche aux choix esthétiques des londoniens, c'est de mauvais goût, mais Drago n'a que faire du cadre. Il a choisi cet hôtel pour son emplacement et sa discrétion. Un quartier Moldu légèrement excentré de Londres, où aucun sorcier ne risquera de le dénicher, et certainement pas les Aurors du Ministère. Et puis de toute façon, Drago ne se soucie plus de ses conditions de vie depuis longtemps.

La chambre est au premier étage : un paramètre qu'il a exigé, pour éviter la vulnérabilité du rez-de-chaussée, tout en lui permettant de s'enfuir rapidement en cas de besoin. Le mobilier reste très simple : un lit double défoncé, vaguement recouvert d'une couette qui a connu des jours meilleurs, une immonde moquette couleur jaune vomi, et une commode qui dissimule une colonie de termites. La salle de bain a perdu ses lettres de noblesse depuis longtemps, et disparaît à présent sous une épaisse couche grisâtre de graisse de savon.

Drago hausse les épaules. Aussi pitoyable que soit son repère, c'est mieux que tout ce qu'il a connu ces dix dernières années à Azkaban. Il n'est pas sûr du constat qu'il est censé en retirer, mais cela ne suscite en lui aucune émotion. Seule sa vieille douleur musculaire se réveille, et il se masse la nuque.

Contemplant la nuit qui tombe à travers les fenêtres encrassées, Drago éprouve pour la première fois un sentiment d'irréalité. Une voix qu'il voudrait fuir en lui lui fait redouter le sommeil, et les pensées qui pourraient l'accompagner. Déjà, l'ambiance sonore de la ville le perturbe, agresse ses sens : les voitures, les klaxons, le brouhaha incessant des passants, les commerçants, et même la vibration discrète du métro qui remonte le long du bâtiment. A travers les parois fines comme du papier, Drago entend les autres locataires du couloir se livrer à une dispute conjugale, tandis qu'au-dessus de lui, quelqu'un fait les cents pas.

Tous ces bruits, ces milliers de petits détails insignifiants et synonymes de la vie, tous ces bruits assaillent ses oreilles et lui sautent à la gorge, l'obsèdent, le rendent fou. Il y a trop d'attention à porter partout. Trop de vigilance. Il se sent cerné. Ironique, quand on sait qu'il vient d'être libéré même pas vingt-quatre heures plus tôt...

Machinalement – et pour se changer les idées – Malefoy aligne sur le lit les quatre portefeuilles qui lui ont permis de réserver son séjour dans ce palace. Il les a volés sur quatre employés très bien vêtus de la City. Malefoy sourit vaguement tandis qu'il fait rouler une pièce de deux livres d'un bout à l'autre de ses doigts, avec l'agilité d'un professionnel. Voler est une qualité que l'on apprend rapidement, à Azkaban. Une qualité vitale pour survivre, et pour laquelle il s'est avéré particulièrement doué.

Faisant disparaître la pièce, Drago ferme les rideaux dans l'espoir d'étouffer un peu le murmure de la rue et retire son sweat-shirt. Avec le reste de l'argent restant, il a fait ce qu'il avait prévu : il a troqué les fringues de Potter contre quelque chose de plus discret. Quelque chose qui dissipera la stupeur méfiante que les bons citoyens affichent lorsqu'ils le croisent : cadavre fraîchement déterré, vêtu de son plus beau costume, incapable d'en remplir les vides. Son apparence attirait bien trop l'attention, aussi Malefoy s'est-il acheté une tenue passe-partout : des baskets, un jean, un T-shirt et un sweet d'occasion, dont le poids pèse étrangement sur ses épaules. Il sourit en songeant qu'à une certaine époque, il aurait préféré mourir plutôt que de porter ces frusques, mais comme à chaque fois que ce genre de pensée lui vient, il se traite d'imbécile et enfouit l'ancien lui plus profondément encore qu'il ne l'avait déjà fait.

Torse nu, Malefoy évite le miroir lézardé et laisse son regard s'égarer sur le costume de Potter. Malgré ses résolutions, il ne veut pas le jeter. Une tenue telle que celle-ci pourra toujours lui servir, ne serait-ce que pour la revendre. Il ne pourra pas vivre de menus larcins bien longtemps. Et puis, ce costume fait partie de son histoire... En quelque sorte.

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