Incapable de dormir, Drago gît sur sa banquette, insensible au froid, à la fatigue, à tout le reste. Il ne sent pas la fièvre qui a pris possession de son corps, ni la faim qui fait fondre ses muscles. Il ne sent plus le mouvement de balancier de la pioche lorsqu'on le force à travailler douze heures par jour. Drago ne sent plus que ses doigts. Les trois derniers doigts de sa main droite. Ces doigts qui le brûlent d'une souffrance si intense que tout le reste a intégralement disparu. Son identité. Ce qu'il a fait. Pourquoi il se trouve ici, et pourquoi il ne peut en sortir. Tout a disparu dans un immense vide blanc où ne résonne plus que douleur, douleur, douleur. Drago n'est plus rien, seulement la douleur.
La Belle de Nuit n'a affecté qu'une petite partie de son corps, aussi est-il toujours apte à se lever, manger, travailler. Un zombi ambulant. Mais il n'y a plus de place dans son esprit pour la moindre réflexion. Quelque part, dans un coin de sa tête, flotte une sirène d'alarme qui l'avertit : « Attention ! Tu t'affaiblis ! Tu vas perdre l'influence que tu viens si chèrement de gagner ». Mais Drago ne peut rien y faire. Il a mal. Et lorsqu'on a mal, on n'a plus rien d'humain.
Le mal détruit l'intelligence. C'est peut-être bien cela l'Enfer enfin de compte : l'Enfer, c'est la suppression de la raison. Drago est incapable de se rappeler où il a entendu une telle chose...
Lorsqu'on pénètre dans sa cellule ce soir-là, il a malgré tout le réflexe de se redresser et de sortir les griffes, comme un animal blessé... Le bruit de ce verrou que l'on force, il l'a trop entendu au cours de ses premières semaines ici. Il sait trop bien à quoi l'assimiler. L'instinct de défense s'est coulé dans ses veines, et supplante la douleur. Mais c'est Johnson qu'il aperçoit dans la lueur du clair de Lune :
– Johnson, articule-t-il, les lèvres sèches, la vision floue. Qu'est-ce que vous faites ici ?
Le gardien s'approche, s'agenouille auprès de la banquette un long moment, et dévisage Malefoy. Il y a de nouveau de la compassion dans son regard, cette compassion que Drago aurait détestée chez n'importe qui d'autre, mais qui chez Johnson se teinte d'une étrange forme de résignation, de détachement : le regard d'un homme qui a vu trop d'horreurs depuis trop longtemps :
– Je viens en aide à un gosse de dix-sept ans, déclare-t-il finalement.
Drago le regarde sans comprendre. Les idées meurent dans son esprit embrumé avant même qu'il n'ait pu les formuler. Se détournant brièvement, Johnson fait signe à quelqu'un derrière lui d'entrer, et un prisonnier chétif à l'allure rabougrie pénètre dans la cellule.
Drago le contemple. Pour autant qu'il puisse en juger, il n'a jamais vu cet homme auparavant. Il est vieux : plus vieux que tous les autres prisonniers. Ses cheveux ont naturellement disparu depuis longtemps, mais, chose étrange, on lui a permis de se laisser pousser une barbe, qui tombe maintenant jusqu'au creux de ses clavicules. Il a l'air d'un homme qui a passé tant de temps à Azkaban que la pierre des murs a pénétré son sang.
– Malefoy, voici Gibbins, présente sobrement Johnson. Il peut faire quelque chose pour soigner cette main.
Ce faisant, Johnson tend le bras vers Malefoy, tel un dompteur devant un fauve blessé, et l'invite doucement à exposer ses doigts à la lumière lunaire.
Le vieil homme s'approche sans dire un mot pour l'examiner. Vu de l'extérieur, le traumatisme est invisible : la peau s'est refermée au-dessus des brûlures, et seule une légère rougeur peut témoigner de l'inflammation. Mais le vieux prisonnier manipule les doigts de Malefoy avec la conscience de ce que ses gestes lui infligent :
– La Belle de Nuit..., articule-t-il d'une voix caverneuse, et ses dents sont toutes noires. Une belle petite saleté que la Belle de Nuit...
– Tu peux l'aider ? demande sèchement Johnson.
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Sunlight
FanfictionA la fin de la guerre, Drago Malefoy est condamné à l'emprisonnement. Dix ans plus tard, Harry Potter l'attend à la sortie d'Azkaban. (Attention, scènes violentes et slash multiples.)