chapitre 20: Aston

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Une larme coule, puis une autre et encore une autre.

La souffrance est bien réelle. Elle est ancienne, mais elle est toujours là et finit par briser les remparts. Je l'ai longtemps retenue, mais elle finit par éclater. Je commence à me libérer des choses qui m'ont empoisonné pendant des années.

Je laisse Megan me serrer contre elle. Son contact est doux et chaud, réconfortant et rassurant. Elle ne dit rien. Elle se contente de me serrer en silence. Elle me rappelle que je ne suis pas seul, que je suis en sécurité. J'ai autant besoin de la serrer dans mes bras que de me laisser aller dans les siens. Elle m'ancre à la réalité. Quand je me concentre sur elle, je me souviens que je n'ai plus six ans et que je n'ai plus peur. Elle empêche les souvenirs de me consumer. Elle rend la douleur supportable.

— C'est pour ça que j'ai pris la spécialité psycho, je souffle après l'avoir enlacée un moment. Pour pouvoir aider tous les gamins comme moi. Si j'avais pu parler à quelqu'un quand j'étais petit, je serais sûrement pas aussi bousillé aujourd'hui.

— Tu n'es pas bousillé. (Elle se rassoit et sèche mes larmes avec son pouce.) Tu as eu une vie pénible, Aston, mais aujourd'hui tu t'en sors. Tu prouves toi-même que tous ces hommes avaient tort. En ayant obtenu ton diplôme et en étant venu ici, tu leur prouves qu'ils avaient tort. C'est toi qui as fait ça tout seul. Personne d'autre.

— Non. Je serai toujours un peu bousillé, Meg. Je continuerai de me réveiller au milieu de la nuit en me demandant si je suis caché sous mon lit ou si je suis en sécurité. Je continuerai de douter de moi chaque jour qui passe, et je serai toujours un peu fichu, quoi que je fasse.

— Mais tu guéris aussi un peu plus chaque jour, dit-elle doucement. On trouvera un moyen de t'aider à affronter ces cauchemars et ces souvenirs, je te le promets. Je t'aiderai, Aston.

Elle plonge ses yeux bleus dans les miens et ses cheveux retombent en cascade autour de nos deux visages, nous dissimulant au reste du monde. Je pourrais me perdre un million de fois dans ses yeux et y retourner quand même. Je pourrais m'abandonner dans ses bras sans jamais éprouver le besoin de me relever, et je comprends que c'est ce qui la rend si différente des autres. Elle me donne ce que personne n'a jamais été en mesure de m'apporter. Elle chasse mon côté je-m'en-foutiste pour le remplacer par une attention particulière. Et elle m'aide à prendre conscience de tellement de choses...

Peu importe ce que disaient les copains de ma mère, je leur ai prouvé le contraire. Ce sont mes propres actes qui m'ont mené jusqu'à Berkeley et jusqu'à ma rencontre avec Megan. Quand je suis allé vivre avec papy, il m'a tout appris, mais c'est moi qui ai tracé ma propre voie, qui ai obtenu mon diplôme et qui suis entré à la fac.

C'est grâce à moi si j'ai rencontré Megan.

Je ne serai jamais comme ma mère, parce qu'elle n'a jamais aimé personne d'autre qu'elle-même. Je ne serai jamais cette personne destinée à une vie brisée de sexe, de drogue et d'alcool.

Parce que je suis fou amoureux de la fille qui se trouve juste devant moi.

Retour aux habituels vendredis soir que j'avais l'habitude d'attendre avec impatience. Les vendredis soir étaient synonymes d'oubli et d'abandon aux plaisirs physiques. Les vendredis et samedis soir étaient les meilleurs soirs, mais maintenant j'ai seulement envie d'attraper Megan et de m'enfuir. J'ai envie de l'emmener loin de cette fichue soirée.

Surtout quand les plans foireux de Lila, qui consistent à lui trouver un mec, ont fait le tour de toutes les classes et que tous les putains de Tom, Dick et Harry essaient de s'immiscer à cette fête.

Chaque fois qu'un de ces abrutis s'approche d'elle, pendant une fraction de seconde j'en veux à Braden, parce que c'est à cause de lui que cette putain de relation doit rester secrète. Moi aussi j'adorerais m'approcher d'elle, tout de suite, et la soustraire aux sales pattes du crétin qui lui fait face pour lui rouler la pelle du siècle devant tout le monde et bien faire passer le message. Je serais prêt à tout pour l'éloigner d'eux et montrer à tout le monde où est sa place. À qui elle appartient.

Parce que oui, elle est à moi dans le sens le plus possessif du terme. C'est dans mes bras qu'elle tombe, ce sont mes lèvres qu'elle embrasse, c'est mon cœur qu'elle tient dans sa main. Grâce à tout ça, elle est à moi. Et pas au connard arrogant à qui elle est en train de parler.

Je fais claquer ma bière sur le comptoir sans prêter attention aux regards autour de moi, et je me fraie un chemin à travers la foule. Je lui donne délibérément un petit coup dans le dos en passant à côté d'elle et je prends la direction des escaliers, que je grimpe quatre à quatre. Je marche plus dans ces conneries. Ma chambre est plongée dans le silence, et j'attends qu'elle monte.

Je ne sais pas combien de temps je vais attendre. Trop longtemps et je vais finir par redescendre, trop peu et les gens comprendront qu'elle m'a suivi. Ils se poseront des questions... Mais je sais que je m'en fiche, maintenant. Ma porte s'ouvre et se referme.

— T'as intérêt à avoir une bonne raison pour débarquer comme une fille qui a ses règles et qui n'arrive pas à trouver de chocolat, lance Megan.

— Je peux plus garder ce foutu secret plus longtemps, bébé, je dis en pivotant sur moi-même, la clouant sur place avec mon regard. Je peux plus continuer à te regarder, là, en bas, entourée de connards, sans passer mon bras autour de toi et les faire dégager d'un seul regard. Je peux plus, bordel, je peux plus.

— Ça ne t'a jamais énervé jusque-là.

— Ça m'énerve depuis le début ! Tu crois que je m'en fiche de te voir rire et plaisanter avec tous ceux qui essaient de coucher avec toi ?

Elle fait un pas vers moi.

— Je n'ai jamais dit que tu t'en fichais ! Je dis que ça ne t'a jamais énervé – et si c'était le cas tu ne

me l'as jamais montré !

— Alors, si j'allais voir une fille et que je lui parlais uniquement pour sauver les apparences, ça t'énerverait pas, toi ? (Je la regarde, impuissant.) Je peux pas les regarder te reluquer comme des porcs, Meg. Cette relation secrète a duré trop longtemps. Il faut qu'on avoue tout.

Elle écarquille légèrement les yeux.

— On ne peut pas... Braden...

— Va devoir se faire à cette putain d'idée ! (Je m'approche et prends son visage entre mes mains.) Il va devoir s'y faire. Il va devoir l'accepter, parce que j'ai plus l'intention de faire semblant et je ne vais pas te laisser tomber pour rien.

— Il va nous détester, murmure-t-elle.

— Les dégâts sont déjà faits, bébé. C'est lui ou nous.

Elle secoue la tête en humectant nerveusement ses lèvres.

— Braden.

Je déteste la manière dont elle grimace en prononçant son prénom.

— Alors on va devoir lui dire, je dis doucement en posant mes lèvres sur les siennes. Maintenant. On va lui dire maintenant.

La porte s'ouvre brusquement.

— Me dire quoi ?


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