20. Rouge Veky

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XX.

Alec Unfford.

Deux jours. Une semaine. Deux semaines. Le temps passait, encore et encore, les nuits s'enchaînant longuement sans jamais se différencier les unes des autres. J'étais à jamais coincé dans les souvenirs de cette dernière soirée, lorsque Veky prononça ces quelques mots avant de quitter la pièce, disparaissant alors brusquement de mon monde. Je ne dormais plus, je ne sortais plus, l'homme faible que j'étais désormais ne vivait plus qu'à travers les vagues et lointaines images de ce feu devenu légendaire. Je ne ressentais plus rien. J'étais totalement absent, déconnecté des autres, le corps vide d'âme, l'esprit plongé dans le noir, la lumière de ma vie demeurant indéfiniment éteinte. Ce tube de rouge à lèvres traînant un jour de plus dans l'un des coins de cette sombre chambre.

Délaissé, lui aussi.

J'avais complètement obstrué la pièce, clôturé les fenêtres, attaché les rideaux entre eux, la porte d'entrée constamment verrouillée, tout ça dans l'espoir de conserver la moindre once d'énergie que Veky aurait pu laisser derrière elle. Mais c'était peine perdue, et j'en étais conscient, mais je continuais de m'infliger cet isolement, une partie de moi m'obligeant à y croire encore.

Je n'étais quasiment plus présent au sein de la communauté.  On ne me voyait que quelques instants, le temps de traverser l'enceinte de l'Opéra et de m'adresser des regards plein d'étonnement. Ma présence devenait tellement exceptionnelle que dès lors qu'un vampire me croisait, son visage se décomposait sur-le-champ. Au fur et à mesure, j'avais arrêté de porter mon attention sur ce genre de détail, construisant autour de moi une véritable carapace.

Perdu, distant, sauvage, je n'étais plus un Dirigeant, mais l'ombre de celui-ci traînant dans les rues de Liota, une lueur habitant le temps d'une nuit les murs blancs du petit studio de L'Isis, un esprit esseulé errant sur les toits de la ville.

À cet instant, je n'étais absolument plus en mesure de gouverner. Je dérivais, sombrant dans ce vide sans fin, incapable de combler cet immense trou dans ma poitrine.

— Sire !

La soudaine voix de Kylie interrompit brusquement mes pensées. M'avançant toujours d'un pas pressé dans les couloirs du bâtiment, je m'arrêtai net et levai la tête, croisant aussitôt le regard de ma sœur. Les habits tachés de sang, ses mains sales, elle me dévisagea longuement.

La fixant sans un mot, pensant que celle-ci revenait d'une énième attaque contre les Chasseurs, je ne bougeai pas.

— Tout va bien ? dit-elle finalement.

Je restai silencieux.

— Nous nous rapprochons. Quelques jours encore avant que l'objet ne nous revienne pour de bon. Je...

Je ne pris même pas la peine de répondre, ni même de lui accorder plus longtemps un regard, et repris mon chemin, ignorant complètement la Meneuse. Je ne pouvais rester ici à l'écouter en sachant ma flamme brûlant dans le corps d'un autre. D'une autre.

— Oh ! Alec !

L'appel de mon nom me fit l'effet d'une gifle. Je me retournai brusquement, foudroyant Kylie des yeux, incapable de comprendre ce que je ressentais à ce moment. L'entendre m'appeler comme elle, comme Veky, comme celle qui m'avait volé ma force, me plongea dans une soudaine rage, une colère que je ne pensais plus jamais ressentir. Sans réfléchir, je me ruai sur elle et la saisis violemment par le col de son vêtement.

— Qu'as-tu dis ? dis-je tout bas, la gorge nouée. Comment est-ce que ma chère sœur vient de m'appeler ?

Les quelques personnes qui marchaient autour de nous s'arrêtèrent, regardant avec stupéfaction la scène. Un long silence s'installa aussitôt, un vide similaire à celui de mon esprit, lourd, pesant, interminable. Il n'y avait plus que les battements énergiques du cœur de Kylie, le rythme fou de sa poitrine hurlante de peur.

L'Héritier (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant