6. Mirages

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Tome 2, VI.


Il y avait foule, les couloirs étaient tout bonnement pleins à craquer, la salle de réception débordait de jeunes gens tout aussi enthousiastes les uns des autres. Tous de blanc vêtus, la musique résonnait aussi fort dans leur esprit que dans l'enceinte du château. Le vin coulait à flots, les hommes riaient sous la lumière des chandeliers, les femmes dansaient au centre de la grande spirale de marbre, leurs robes claires et leurs cols en fourrures bougeant en toute légèreté. La fête battait son plein sous l'œil attentif d'Alec assis tel un roi aux côtés d'Elensia. Perchés sur cette estrade en fond de salle, leurs sièges recouverts de sombres peaux de bêtes, le rouge saignant de leurs tenues attirait tous les regards. De la liqueur, du vin, des fruits, des pâtisseries, du pain, toute sorte de viande... Il y avait absolument tout de quoi se satisfaire, c'était l'abondance. La souveraine avait changé de robe, sa traîne, toujours aussi écarlate, était encore plus longue que l'ancienne. Elle portait sur la tête une coiffe en cuir de la même couleur, un léger voile en dentelle lui couvrant partiellement les yeux. À travers, elle analysait discrètement les expressions de son invité, ses mains gantées fermement posées sur les accoudoirs de son trône.
L'immortel ne parlait pas, il n'avait pas l'air d'être intéressé par toutes ces choses. Pourtant, son attention semblait totalement captivée par la foule. Il avait ce regard curieux, profond, rempli d'envies. Vêtu de cette flamboyante veste rouge brodée de fils d'or et d'un pantalon noir, il buvait sans grand enthousiasme son verre, ses deux émeraudes jonglant d'une silhouette à une autre.

— Aimez-vous danser ? demanda-t-elle.

Alec mouilla une dernière fois ses lèvres de vin et jeta un bref coup d'œil à la reine rouge.

— Je ne vous force bien évidemment pas, mais...

Elle ne termina pas sa phrase et projeta alors son bras sur l'assemblée, un petit groupe de femmes se retournant aussitôt en direction du vampire. Il les contempla un moment, son regard décelant aussitôt une particularité que toutes possédaient dans leur expression. Mais alors qu'il voulut s'exprimer, l'odeur de la mort envahit brusquement ses narines, cette envie de sucre pourpre le prenant instantanément. Et la seconde d'après, il vit la main gantée d'Elensia lui glisser un petit verre grenade, la bombe prête à lui exploser en bouche.

— À la vôtre, souffla-t-elle en s'emparant du sien.

— Vous ? dit-il enfin d'un air surpris, la voyant prête à boire ce verre de sang.

— Laissez-moi vous faire honneur à ma façon.

À ses mots, elle vida le petit récipient, son regard ne quittant jamais celui d'Alec, et s'en lécha même les lèvres.
La soirée allait de toute évidence prendre une tout autre tournure. Intrigué, amusé, l'immortel l'imita sans tarder, un dangereux sourire se dessinant dans le coin de sa bouche. Et lorsque l'élixir explosa en lui tel un feu d'artifice, il reposa les yeux sur la foule. Son iris, plus brillant que jamais, dévorait déjà ses prétendantes. Joueuses et jeunes, fraîches et insouciantes, il eut l'envie soudaine de maculer leur cou.

— Eh bien... Vous m'excuserez, souffla-t-il alors à Elensia en se levant.

— Mais je vous en prie, dit-elle aussitôt en le regardant s'en aller, déjà bien amusée.

Il s'avança sans se presser, pénétrant lentement la foule en mouvement. Les expressions changèrent, les attitudes se transformèrent, mais Alec ne les remarquait même plus, obnubilé par ce quatuor de biches aux yeux clairs, ces quatre nuances de vert l'attirant entre les griffes du diable.
Cerné, presque entièrement séduit, il se laissa approcher, le gibier lui tournant doucement autour. Il sentait leurs mains glisser dans son dos, le long de ses bras, les jeunes inconscientes entraînant peu à peu l'homme dans leur jeu. La musique parut soudain augmenter, le rythme devenant plus entraînant, plus intense, la soudaine voix d'une chanteuse accompagnant les vibrantes percussions. La poitrine brûlante, le regard menaçant à tout moment de s'enflammer, il scrutait dangereusement cette première cible qui immédiatement se rapprocha de lui, le bas sa robe en mousseline blanche empiétant aussitôt sur les chaussures du grand homme.
Il lui suffit d'un regard pour appâter la belle qui, lentement, s'avança au plus près de lui, celle-ci prête à jouer avec le feu, ses lèvres se stoppant à quelques centimètres des siennes avant de subitement s'éloigner. Mais l'immortel restait impassible. Bien qu'il sourît, la provocatrice récidivant encore et encore, ses complices tout autour lui caressant du bout des doigts le dos, il se contenta d'observer chaque mouvement calmement. Il les laissait prendre possession de lui, Alec leur donna l'espace d'un instant le contrôle, leurs profonds yeux verts envahissant son esprit. Happé par le charme et la tendresse de ces regards lui évoquant ce souvenir incertain, le vampire s'abandonna soudain à l'une de ces filles, la conscience jonglant entre illusion et réalité, ses mains agrippant soudain avec puissance la taille de la biche. Ses doigts remontèrent alors doucement le long de sa robe, la mousseline blanche de celle-ci s'écrasant contre le rouge vif de sa veste impériale.

L'Héritier (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant