Chapitre 14

1.5K 138 17
                                    

Thana


Il occupe tellement mon esprit qu'il m'énerve. Enfin, quand ce ne sont pas les images, s'entend. J'ai peur, peur de ne pas réussir à me reconstruire, à surmonter tout ce qui me coule, tout ce qui me détruit. Il me reste encore le plafond, pour accrocher des dessins. Après, je n'aurai plus de place. Après, je serai peut-être morte. La couverture est moelleuse sous mon dos marqué par la violence. Pourquoi la mort m'a pas emmené ? Pourquoi elle m'a évité, n'a fait que me frôler, le jour où elle a failli nous emporter, mon père et moi, en même temps que ce garde ? Ce jour où il était encore mon père. Il fait jour, dehors. Il fait jour et je pense à l'obscurité.

A cette obscurité. Celle qui me brise, m'étouffe comme un serpent. J'ai envie de dessiner, d'épancher ce qui me bouffe. Mais si je continue, Lach va finir par découvrir les dessins. Ces feuilles blanches devenues noires des ténèbres qui m'engloutissent. Sur certaines d'entre elle, il n'y a rien d'autre que ça. Du noir, sur toute la page, comme si elle allait m'avaler et me faire plonger dedans. Sur d'autres, il y a cette salle. Des traits vagues, qui ne représentent nullement la cellule, mais plutôt l'ambiance oppressante qui en ressort, aujourd'hui, à la lumière que m'offre le recul. Comment ai-je fait pour tenir. Comment faire pour tenir.

Je pense aux vides venteux. Comme une échappatoire qui me claque la porte au nez, alors même que je voyais la clef de la délivrance par le trou de la serrure. Je ne suis plus jamais seule, maintenant. Constamment surveillée, pour éviter que je me tue à l'arsenic, me plante un couteau dans le bide, ou me pende avec la corde à sauter de la petite voisine. Je n'ai droit qu'à ce répit parce que je sais que Lach écoute ma respiration de l'autre côté de la cloison. Au moindre changement, elle entrera pour vérifier mon état.

Elle ne peut pas me surveiller sous forme louve parce qu'elle sait que c'est le seul moyen de trouver au moins momentanément une forme vague de paix. Sous cette forme, j'oublie presque. Les images sont moins présentes, moins noires de mes sentiments, aussi, et sont cachées par les sensations de Vie qui m'assaillent. Elle est trop présente pour que je ne pense à mettre fin à mes jours pendant ces moment-là. La Vie.

Cela fait cinq minutes que je suis seule. Lachlyn ne va pas tarder à rentrer dans la pièce pour m'arracher à ma dangereuse solitude. Avec un inaudible soupir, je me redresse sur mon séant et planque les feuilles barbouillées de ténèbres sous mon grand lit. Il faudra que je leur trouve une autre cachette, j'ai remarqué qu'elle regardait chaque nuit si je n'avais pas planqué un instrument mortel sous le sommier, histoire que je n'ai pas le temps de me tuer dans le cours moment où je suis éveillée et elle pas encore. A chaque mouvement que je fais, elle émerge du sommeil avec urgence, quand ce ne sont pas mes cauchemars et mes hurlements. Ma chaleur, aussi, la bouffe. Je le sens bien. En hiver, elle devrait en profiter. Mais c'est une chaleur froide, une chaleur qui me pèse alors qu'elle glace mon amie.

J'ai bougé, le lit a faiblement grincé quand j'ai mis les dessins dessous, la voilà qui entre urgemment. Je retiens un soupir. C'est bon, je suis toujours en vie. Malheureusement.

- Ça va ? demande mon geôlier avec attention.

Je me retiens de la fusiller du regard, et hoche la tête. Il faut que je trouve un moyen d'échapper à sa vigilance, sinon je vais devenir folle. La Forêt. Me permettant à la fois d'étouffer les images et de me donner cette solitude que je réclame, elle a en plus le don de me redonner, parfois, le goût de la vie. Il y a le dessin, sinon, mais même pendant ces instants, elle me surveille. Histoire de vérifier que je n'essaie pas d'avaler du papier, ou de me planter un crayon dans la gorge.

Des ailes dans le dos 2 - ReconstructionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant