Chapitre 6

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Revenue le soir-même, Lachlyn avait sursauté en voyant le carnage autour d'elle. La tornade tournait dans le salon, les papiers peints gisaient à terre, une lance de glace de la taille d'une petite voiture transperçait le mur entre le salon et la chambre, des piques de glace parsemaient le sol, le rendant impraticable pieds nus (ce qu'heureusement elle n'était pas), les murs étaient recouverts de tiges de glace qui menaçaient de transpercer celui qui ne prêtait pas attention, les meubles avaient été balayés comme des brins de paille, en bref, j'étais rentrée, et j'affichais ma mauvaise humeur. Elle avait déposé le plateau-repas par terre, sur un coin à peu près réchappé où le plateau n'était pas trop bancal, et était repartie aussi sec. Trois jours avaient passé, les plateaux se remplaçaient les uns les autres, intacts, la tornade faisait toujours rage, et je n'avais pas bougé d'un iota. Le froid me glaçait les os, me congelait sur place. Mais tout était mieux que la chaleur. Cette chaleur atroce, agissant comme une machine, non pas à remonter le temps, mais à raviver les souvenirs, et du genre que l'on veut oublier.

Lachlyn entre dans la chambre d'un coup, évidemment, et cette fois habillée d'un lourd manteau en fourrure et d'une écharpe, afin de ne pas subir le froid hivernal qui règne dans la suite. Mais elle est sans plateau, cette fois.

- Thana ? tente-t-elle timidement, attendant certainement de voir mon humeur.

Je la dévisage. Quoi ?

- Ton père veut te voir.

- Je n'ai pas de père.

Elle écarquille les yeux. Mes premiers mots depuis... depuis mon retour. Mes premiers mots sonores, dits, et entendus.

- Mais si, Aymeric...

- Je sais qui est Aymeric. Je te dis que ce n'est pas mon père.

Elle reste interdite un instant, ne sachant quoi dire face à ma froideur. Mais elle tente par une autre approche.

- Thana, le roi veut te voir.

Elle met de la distance entre lui et moi, c'est bien. Mais ça ne marche pas. Je ne veux voir personne, et surtout pas lui. Je détourne la tête. Je l'entends respirer un grand coup.

- Thana, Aymeric veut te voir, et c'est mon roi, je n'ai d'autre choix que de lui obéir. Je sais qu'il va m'ordonner de l'emmener te voir, alors voilà, je ne peux pas refuser, mais je peux au moins te prévenir. Ton père...

- CE N'EST PAS MON PERE ! rugis-je.

Elle sursaute violemment, les yeux écarquillés devant ma violence.  Elle se reprend.

- Le roi, dit-elle lentement, à tâtons, le roi va venir te voir aujourd'hui.

J'hoche la tête, et baisse les yeux.

- Merci de me prévenir. Lach, dis-lui que je ne suis pas disposée à le voir. Si je sais qu'il ne m'écoutera pas, il sera au moins au parfum de comment je me sens. Ou plutôt comment je ne me sens pas. Disposée à le voir, en l'occurrence.

Elle sourit alors. Quoi ?

- Tu m'as appelé Lach, dit-elle, les yeux pétillants de malice.

Je la regarde. Elle est adorable. J'aimerais lui sourire, lui montrer que rien n'a changé entre nous, et surtout pas ce que je ressens pour elle, mais j'en suis incapable. En serai-je capable un jour ? Mon visage perd sa froideur condescendante pour une mine douce qui lui fait garder son beau sourire.

- Thana, tout va bien, je ne te force à rien d'accord ? Prends ton temps. Et un jour peut-être que tu te sentiras prête à en parler. OK ?

OK. Elle s'éclipse, et je m'enferme de nouveau dans ma bulle. Revoilà la rage, cette rage qui m'habite, qui me contrôle totalement. Aymeric va venir. Qu'est-ce que je fais ? Je range ? Pour faire bonne figure et lui faire croire que tout va bien. Non. Avant, peut-être que j'aurais fait ça. Non, avant, j'aurais forcément fait ça. Maintenant, non. Je veux qu'il voit le mal qu'il m'a fait, je veux lui montrer à quel point je le hais, à quel point je lui en veux, à quel point il m'a fait souffrir en me laissant croupir dans cet immonde cachot où j'ai vécu les pires des horreurs ! Des pics de glace s'échappent de mes mains et vont se figer dans les murs sous le coup de ma colère. On se calme. On respire. Je ferme les yeux, tentant de canaliser la vague, le tsunami de rage qui me bouffe littéralement depuis des jours et des jours, que j'arrive à refréner vaguement (le château est encore debout et personne n'est mort). Il fait moins beau dehors. Le ciel est gris, il neige, il doit faire froid. Mais tellement chaud par rapport à la température qui règne dans la pièce. Soudain, Lachlyn réapparaît, accompagnée d'Aymeric. Evidemment. Aussitôt, à la vue de son front blanc, ses yeux bleus inquiets, ses sourcils froncés, son menton à fossette et ses joues rebondies, les souvenirs affluent, et les braises de ma rage s'enflamment, formant un feu nourrit et puissant, ronflant, chaud... chaud. Je me tourne vers lui, le visage glacial, les yeux vides d'expression, l'âme emplie d'une haine féroce. Comment ose-t-il se présenter à moi ? J'inspire calmement, sentant monter en moi la tension, et veille à ne pas accentuer le cyclone qui sévit dans un coin du salon. Il ouvre la bouche.

Des ailes dans le dos 2 - ReconstructionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant