Des ailes dans le dos 2 - Reconstruction

Chapitre 1

                           Emilie

Nous sommes regroupés au pied de l'estrade où l'exécution va avoir lieu. On se regarde, on n'ose pas se parler, trop abasourdi par cette situation. Il fait froid mais on s'en moque. Cela ne peut pas arriver. Il y a foule, c'est noir de monde, on dirait que tout le royaume s'est réuni pour dire adieu à sa princesse. Soudain l'assemblée se tait, Thana apparaît menottée, affaiblie, ses pouvoirs inhibés sur cette estrade. C'en est trop et je manque de m'effondrer mais mes amis me rattrape de justesse. Elle me regarde et je hurle de toutes mes forces, ne pouvant laisser faire ça.

-THANA !

Je me mets à pleurer, mais personne se semble m'entendre, personne ne réagit. Cependant je m'acharne, je continue de hurler, supplier, persuader les gens autour de moi d'arrêter cette exécution mais rien n'y fait...

Soudain un silence pesant s'installe, et ce que je redoute tant va arriver... Ce n'est pas possible. Martha, Iz, Norbert me regardent, horrifiés. Puis tout tourne, tout devient flou, je ne perçois plus que des murmures choqués et surpris, la voix de mes amis lui suppliant de revenir. Un court instant tout s'éclaircit, je vois une ombre géant au-dessus de moi... et puis le trou noir.

Je me réveille en sursaut, trempée de sueur, le corps moite, les cheveux collés à la nuque et le souffle court, encore complètement sous le choc de cette vision. J'ai atrocement chaud. Ma chemise de nuit me colle à la peau, et laisse entrevoir mon ventre déjà rebondi. Les images ne cessent de tourner dans ma tête, il me faut plusieurs minutes pour que les battements de mon cœur reviennent à la normale. Encore et toujours cette même vision, et malgré les dizaines de vision qui m'assaillent avec l'augmentation de mes pouvoirs, c'est la seule concernant Thana que j'arrive à voir. C'est la seule qui me donne un court aperçu de son futur et encore, elle est tellement floue... Je n'arrive pas à savoir si ...si elle va vivre ou pas. Cette incertitude me tue. Je n'arrive pas à croire ce qui nous est arrivé. Je sais que je ne suis pas omnisciente mais je pensais quand même savoir comment notre futur allait se dérouler. Grossière erreur, ce dernier m'a bien montré que je ne voyais pas tout. Et on peut le dire, ce futur je ne l'avais pas vu venir ! Comment va-t-on se sortir de la ? Je n'en peux plus de cette situation entre la condamnation de Thana, Norbert qui n'est plus que l'ombre de lui-même et Maxime que je déteste et j'aime à la fois. Sans oublier bien sûr ma grossesse. Je suis enceinte d'un mois déjà, plus que deux. Et combien avant de l'annoncer... évidemment, avec la grossesse, mes pouvoirs sont décuplés, et je n'aurais aucun mal à persuader ma mère de ne rien dire, d'accepter ça sans problème mais cela ne me paraît pas juste. Et au fond de moi je crois que j'ai besoin d'un électrochoc, d'une prise de conscience, besoin que quelqu'un me secoue. Et puis je lui cache depuis déjà trop longtemps.

Il faut que je m'occupe l'esprit, je sors donc de mon lit, ramasse ma couette tombée par terre, et me dirige une fois encore vers la cuisine. Je bouffe tout le temps, à tel point que je suis obligée d'acheter à manger à cacher dans ma chambre pour ne pas que ma mère me soupçonne de quoi que ce soit. Là tout de suite, j'ai affreusement envie d'une pizza bien chaude et moelleuse, au chorizo croustillant et piquant... je sens d'ici son odeur, comme si elle était réelle. Mais je ne peux pas la faire cuire maintenant, il fait encore nuit, alors je me repli sur des chips. J'en prends un paquet et je file dans ma chambre, déjà grelottante de froid à cause de la température de la maison.

J'adore et je déteste à la fois être enceinte. Je déteste parce que mes émotions, ma température corporelle et mes envies peuvent changer du tout au tout en une seconde.  Je mourais de chaud dans mon lit, me voilà transie de froid alors que je regagne ma chambre. J'ai envie d'une pizza, mais j'aurai à peine terminé mes chips que je m'enfilerai un paquet de gâteaux nappés au chocolat. Je me sens bouillonnante de vie, mais je peux être morte de tristesse et apathique d'ici deux secondes. C'est un enfer, en plus tout mon corps me fait mal, mes jambes, mon ventre, mes seins qui grossissent à vue d'œil, ma tête, j'ai constamment des migraines, le sang circule mal dans mes jambes qui sont lourdes. Je déteste parce que je pleure tout le temps, que je me plains constamment à mes amis, et que je ressens tout à mille pourcent. Et sans oublier ces très chères nausées matinales qui me mènent la vie dure. Et je déteste cela car j'ai peur, terriblement peur de l'accouchement, d'être une mauvaise mère...
Mais d'un autre côté j'adore car je sens cette vie grandir en moi, ce futur enfant qui habite en moi, qui a besoin de mon amour et que je chéris déjà. Je comprends maintenant lorsque l'on parle de l'instinct maternel, je suis par moment un animal près à tout pour protéger cette vie. Enfin j'aime ce sentiment de puissance inégalable en moi, le décuplement  jouissif de mes pouvoirs, mon sentiment d'invincibilité. Et ça vaut bien tout le reste.

Il fait encore nuit mais je n'ai pas sommeil alors j'allume la télé, importée de Terre et branchée sur ses satellites, en attrapant ma couverture que je rabats sur moi en claquant des dents. J'ouvre mon paquet de chips, et lance la suite d'une série que j'ai commencé hier soir avant de m'effondrer comme une masse, morte de fatigue. Je baisse le son pour ne pas réveiller ma mère, et déguste mon petit-déjeuner ultra-light en dévorant des yeux la suite de l'histoire. C'est une série du genre Blockbuster, le genre que je déteste habituellement, mais mes hormones ont visiblement décidées que j'avais besoin de grosses bastons, d'hémoglobine et de testostérone à s'en crever les yeux, tout ça garni d'histoires d'amour à l'eau de rose dépourvues de la moindre subtilité. Au bout d'un quart d'heure à peine, je le remets en pause, attrape mon fide sur la table de nuit, et je dessine.