Chapitre 7

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La main gauche tendue devant moi, je fais petit à petit fondre la glace qui a figé la chambre dans le temps, et laisse l'eau s'échapper par la fenêtre. Il est désormais l'heure de nettoyer. Mélio est parti chasser. Soudain, des coups sourds résonnent contre la porte d'entrée, et un pic de glace va aussitôt se planter dedans avant que je ne puisse l'arrêter. Un cri de surprise se fait entendre, et je reconnais cette voix.

- Thana ! Ouvre, c'est nous ! S'il te plaît ! crie cette même voix féminine derrière la porte, sans taper dessus cette fois.

Je ferme les yeux. Cette voix... Elisa ? Estelle ? Elia ? Un truc en « i ». Je grogne de frustration et, de la main droite, fais tourner à distance à l'aide du vent la poignée de la porte, révélant la présence de quatre adolescents de mon âge qui me regardent, inquiets. En vérité, l'expression « rongés par l'inquiétude » serait plus juste. Ils transpirent l'angoisse par tous les pores de leur peau. Emilie. Ça y est. Les visages que j'ai en face de moi font remonter des souvenirs heureux, des souvenirs de rires, de bien-être, de souffle après l'entraînement, de bouffée d'air frais qui me reviennent par centaine, comme autant de piqûres de sérotonine dans mes veines. Emilie, Iz, Norbert, Martha. Des yeux mauves, marrons, bleus. Des peaux blanches, noires. Des corps grands, petits, maigres, enrobés, des corps qui me sont familiers. Des voix, aussi.

- Bonjour, dis-je doucement, intimidée par leur silence.

Et soudain, c'est un feu d'artifice. Malgré les gouttes d'eau qui suintent sur les murs, les pics de glace qui rendent le sol glissant et le froid de canard qui envahit la pièce, ils la traversent pour se jeter sur moi. Mais j'ai un geste de recul, pas encore prête à sentir la chaleur humaine sur ma peau, et ils s'arrêtent, gênés. Cependant, de mon côté, la gêne est un sentiment qui me fait encore défaut.

- On est tellement soulagés de te voir, Thana ! s'écrie Emilie, rompant la glace.

Et alors me reviennent les images d'une fille douce, adorable, drôle, aimante, délicate et innocente, avec qui j'ai tellement ris. Avec qui j'ai tout vécu. Ma sœur. Emilie est ce qui s'approche le plus d'une sœur, pour moi.

- Je suis heureuse de vous voir aussi.

- Désolée, on n'a pas pu venir plus tôt, Aymeric ne nous avait pas prévenus que tu étais rentrée ! Je rêve !

Et là, le soulagement s'empare de moi, se répand dans ma poitrine, comme un baume réparateur. Ils ne m'avaient pas oublié. Je grimace, tentant en vain de sourire, mais Emilie comprend. C'est encore trop dur pour moi. Je détourne mon attention de la jeune fille aux yeux mauves qui me fait face pour la porter sur l'autre femme qui se trouve dans la pièce, un peu plus ronde, les yeux bleus foncés, et un étrange sourire sur les lèvres.

- Ravie de te revoir, Thana, dit-elle d'une voix douce.

Alors l'image imposant d'un dîner se scotche dans mon cerveau, d'un dîner avec une ravissante et sage jeune femme qui rit, les joues roses.

- Moi aussi, Martha.

Mes yeux se fixent alors sur un frêle garçon blond, muet, caché derrière ses amis, avec cette même grimace sur le visage. Aussitôt, nos regards s'accrochent, et une connexion s'établit entre nous. Nous avons vécu la même chose. La peur plus que la douleur pour lui, l'inverse pour moi. Mais l'horreur reste la même. Pas besoin de cette grimace vaine, pas besoin de faux-semblants. On ne sourit pas, entre nous. Comment pourrait-on ? Norbert est aussi cassé que moi.
Et enfin, je détourne les yeux vers un immense et imposant jeune homme aux dents blanches étincelantes et aux yeux marron, rieurs. Iz.

- Salut Iz, dis-je.

Ma grimace s'améliore sur mon visage, je le sens, comme si sa présence rendait la joie plus douce et sincère, plus facile, aussi. Usant de ses immenses jambes, il rompt l'espace entre nous, et me prend dans ses bras. Aussitôt, je me tends, me braque, brusquée par son geste vif, et je sens le bout de mes doigts geler à cause du maigre contrôle que j'ai. Enfin Iz est toujours vivant, pas encore transpercé par une pointe meurtrière, c'est déjà ça non ? Alors que ses bras touchent les miens, tous mes amis ont un hoquet de stupeur, redoutant ma réaction. En même temps, heureusement qu'il y avait la porte, tout à l'heure. Sentant que ma maîtrise est fragile, le grand noir me lâche, sans quitter son sourire gigantesque, et se pose sur mon canapé, avant de se relever d'un bond.

Des ailes dans le dos 2 - ReconstructionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant