Jour 201

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L'écran géant de la salle de contrôle Jupiter représentait les trajectoires associées des sept navettes en approche de Mars. La flottille, menée par Voyager, arrivait lentement sur son objectif malgré les onze kilomètres parcourus chaque seconde.

Dans la salle de réunion principale, en surplomb des pupitres, trois ingénieurs travaillaient avec Alech Lewandoski et Gong Li sur les trajectoires d'arrivées sur la planète rouge. En visioconférence, Peter Stockton apportait son concours et sa bonne humeur.


— Les chiffres hantent nos paupières, nos esprits, nos sommeils et tu réussis encore à penser à ton commandant ! Je ne sais pas où ton cerveau trouve du temps disponible, lança-t-il avec un clin d'œil à Alech.


Le chef de projet européen avait confié de vive voix ce qui se savait déjà de source sûre : ses relations avec Éric Boulanger fluctuaient sans cesse, au point que la direction de l'ESA avait rappelé à l'ordre les deux hommes.


— Oui. Notre relation se normalisait et il s'est encore braqué. Si au moins je comprenais pourquoi il agit comme ça. Cela m'aiderait à passer outre. Il se comporte comme un déséquilibré alors qu'il a réalisé tous les tests psychologique avec succès. Je prenais son intransigeance pour du professionnalisme. Je me demande si je ne me suis pas fourvoyé.

— Je ne vais pas dire que ça va se tasser, mais vous devriez trouver une solution pour apaiser tout ça. L'arrivée sur Mars est proche, le travail ne fera alors que commencer.

— Encore deux ans...

— Eh oui, deux ans de bonheur, une course terminée, une victoire pour toi. Allez je vous laisse, j'ai un meeting d'équipe de mon côté. Bye buddies !


La communication coupée, la réunion toucha à la fin et chacun se leva, s'étirant, marchant pour évacuer les ankyloses causées par les heures de travail autour de la table. Alech était très satisfait : les trajectoires s'affinaient et les sites d'atterrissages communs des fusées se précisaient.

Porté par sa bonne humeur, il se tourna vers Gong Li, occupée à réunir ses notes. Leur relation s'était nettement réchauffée depuis qu'ils travaillaient ensemble, pour son plus grand bonheur.


— Si on allait dîner pour fêter nos avancées ?

— Avec plaisir, rétorqua la représentante de Wenchang. Couper nous fera le plus grand bien.


Les voilà partis pour Kourou. La jeep à la capote baissée leur permettait de profiter de l'air plus frais de cette fin de journée, une agréable récréation après les heures passées à plancher. En quelques minutes, ils se retrouvèrent à la terrasse d'un restaurant, en train de déguster un blaff, spécialité à base de crevettes cuites dans un jus relevé d'oignons, de piments, d'ail et de citron vert.


— Tu ne t'en souviens sans doute pas, mais nous nous sommes déjà rencontrés avant tout ça, fit Alech en picorant une crevette avec ses doigts.


Gong Li avala une bouchée avant de répondre, en appelant à ses souvenirs.


—Je suis désolé, je ne vois pas.

— J'étais au colloque EcoSpace il y a quatre ans. J'ai été très impressionné par ton exposé, érudit sans être trop technique.


Il n'osa pas confier qu'il avait été charmé par l'intelligence derrière les mots, sa voix posée et magnétique. Cette musique scientifique lavait bercé et lui avait soutiré des sentiments curieux, l'impression qu'une force suprême le poussait à échanger avec elle, en profiter un peu plus. Sans parvenir à trouver l'énergie d'aller lui adresser la parole.

Gong Li sembla se réjouir de ce souvenir avant de rétorquer, souriante :


— Je ne m'en souviens pas, excuse-moi. Ce colloque a fait beaucoup pour ma carrière : c'est grâce à mon intervention que j'ai convaincu xxx, le patron du CNSA de mes capacités. Il m'a offert le poste d'adjoint et me voici en première ligne dans notre marathon vers Mars.


Alech but un verre de vin, désireux de profiter du moment. Il avait l'impression de se trouver sur un nuage de paix après les orages qui avaient secoué le programme. Savourer cet instant était important et précieux, vu ce qui les attendait encore.


— Tu as sans doute dû te battre pour arriver où tu te trouves.

— Oui, mais j'y suis arrivée et si la mission réussit, la suite sera bien plus simple.

— Tu le mérites.


Elle rit. Cet éclat clair dans cette belle soirée enchanta Alech alors qu'il finissait leurs assiettes dans la bonne humeur.


— Tu me montres un peu Kourou ? fit-elle. Ça me fera du bien de marcher après ce bon repas.


Il termina un autre verre et se leva, prêt à accomplir cette mission avec plaisir.

Les rues plates s'étendaient en larges avenues qu'Alech avait déjà fréquentées au moment du Carnaval, un moment marquant du début d'année guyanais. Les enseignes défraichies des boutiques réchauffaient une atmosphère qui tendait à se rafraichir. Ils croisèrent une bande de jeunes en vélo et ne remarquèrent pas, disséminés çà et là, les déchets qui encombraient la voie publique.

Les yeux en amande de Gong Li papillonnaient d'un endroit à l'autre et Lewandoski crut capter quelques regards sans en être sûr. En apesanteur, il n'osait plus parler, de peur de briser l'instant magique, cette déambulation sous le regard de la lune et des néons pâle.

Ils arrivèrent à un coude qui les obligeait à tourner sur leur droite, mais Alech ne s'en rendit pas compte, absent, porté par ses sentiments. Il percuta l'ingénieure chinoise qui, sans s'en étonner, en profita pour l'embrasser. Le contact surprenant se transforma en étreinte, en baiser rendu. Ils restèrent longtemps ainsi, l'un contre l'autre.

Quand ils s'écartèrent, ce fut à regret, avec l'envie de recommencer. Ils se prirent mutuellement la main et retournèrent à la voiture, leurs regards brûlant d'intensité l'un pour l'autre.



La fin de la soirée se déroula tout en douceur, en contacts doux, en exaltation dans la maison d'Alech. Ils s'endormirent enlacés, dans le partage d'un dernier moment de tendresse et l'espoir d'un lendemain.

Code RougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant