Le décompte avait repris sa marche sur l'écran principal de la salle de contrôle Jupiter. Chiffre rouge après chiffre rouge. Inéluctable. Le module d'Ariane 6 approchait de la surface martienne. Il restait six minutes. Tous les ingénieurs s'affairaient. Ils avaient transmis toutes les informations demandées par l'équipage, aidé les ordinateurs de bord à calculer un angle d'approche moins dangereux et déterminé le moment où déclencher les fusées de freinage.
Maintenant, le sort en était jeté, mais chacun s'échinait à tout revérifier une dernière fois. De poste en poste, Alech et Pietro distribuaient les félicitations, les tapes sur les épaules, les regards d'admiration. Malgré tout, cette équipe avait abattu un travail de titan qui servirait aux missions à venir.Dernière minute. L'écran mural se divisa pour afficher à la fois le compteur, la courbe de descente de la fusée et les images du satellite Herschel 2. Pietro pensa à une célèbre série télévisée qui l'avait passionné durant son adolescence. Un vaisseau en était le personnage central et il effectuait un saut désespéré dans l'atmosphère d'une planète, afin d'y sauver ses passagers descendus s'installer. Les images l'avaient captivé. Voir le vaisseau faire ce saut de foi, se désagréger, tenir bon, enfin sauver ses pilotes et habitants humains en danger l'avait fait frissonner à l'époque. La tension était toute autre aujourd'hui, mais il retrouvait le sentiment d'incroyable, la suspension d'incrédulité de ses souvenirs.
Personne ne pouvait plus rien faire, à part prier en vue d'un atterrissage sans trop de dommages. La silhouette d'Ariane pénétra la bordure martienne sans frottement ou presque, en l'absence d'atmosphère. Sa chute fut brutalement ralentie par le démarrage des réacteurs secondaires censés empêcher un choc trop violent avec l'écorce de Mars. Le contact n'en fut pas moins terrible et souleva un gigantesque panache de poussière rouge.
La fusée glissa sur plusieurs centaines de mètres et se heurta à une colline, à l'entrée du noctis labyrinthus. Un labyrinthe de la nuit au milieu duquel s'enfonçait aussi bien l'équipage, au destin inconnu, que les scientifiques au sol dont la mission s'achevait par un crépuscule à l'issue incertaine.Alech baissa les yeux sur les moniteurs indiquant l'état de santé des astronautes. Trois d'entre eux étaient inactifs, mais celui de Boulanger fonctionnait toujours. Son rythme cardiaque frénétique et sa tension élevée témoignaient de sa survie. Lewandoski ressentit l'envie de sauter dans une navette afin d'aller sur Mars lui confier le fond de sa pensée. Cela ne servirait à rien, mais le soulagerait.
Finalement, un seul des neuf passagers ne renvoya aucun signal vital. Si la coque d'Ariane avait été percée, ce ne serait qu'une question d'heures avant que les monitorages ne s'éteignent un à un. L'opérateur radio tenta à plusieurs reprises de prendre contact, sans retour. L'attente se prolongea, muette.
Les pensées d'Alech allèrent à l'équipage du commandant Boulanger. Leurs familles devaient attendre, anxieusement, d'avoir des nouvelles. En raison de la situation internationale tendue, elles n'avaient pas été autorisées à se rendre sur le site de Kourou afin d'assister à la fin de la mission. Le chef de projet se promit de les appeler et de leur donner toutes les informations qu'il serait autorisé à transmettre au grand public.
Son regard se perdit au milieu de la salle Jupiter. De l'autre côté des vitres du poste de contrôle, des tribunes confortables accueillaient habituellement un public et des journalistes lors des grands événements. Aujourd'hui, il n'y avait que le général McGowan et une partie de son état-major. Des soldats montaient la garde aux quatre coins de la large pièce, indifférents aux données de l'écran géant.
Le général lui avait appris l'identité de ce Léo évoqué par Boulanger : il s'agissait de son fils, ce qui surprenait au plus haut point le chef de projet. Depuis deux ans, il ne connaissait qu'un seul enfant au commandant, la petite Mathilde, petite gamine mignonne et ouverte aux autres. Cette nouvelle l'avait plongé dans la perplexité.
Fatigué, Lewandoski se servit un grand mug de café noir, sans sucre, qui stagnait dans la cafetière depuis trois jours au moins. Réchauffé à de nombreuses reprises, ce jus avait un goût horrible qui gardait éveillé et vrillait l'estomac. Il recula son siège de bureau et se leva un instant. Un calme de mort planait sur la base européenne de lancement spatial.
Se laisser aller à la contemplation entraînait son esprit vers des divagations incontrôlables. La surface de Mars prenait une teinte rouge sang pendant ses songes. Elle vibrait, attendait ses visiteurs et se désespérait de découvrir les messagers de l'autre monde, morts ou fous. Sa rébellion, c'était un cri sortant des vallées, le souffle du vent balayant tout sur son passage, lançant une gerbe de poussière vers l'espace où elle happait les autres missions terriennes et les engloutissait au cœur des lacs sans eau, sans fond.
Gong Li sortit du couloir principal de la base spatiale et le héla avec discrétion. D'un geste de tête, elle l'invita à le rejoindre. Son visage renvoyait la gravité que lui-même portait comme une croix sur ses épaules. Hagard, Alech se laissa guider machinalement, comme si il était l'invité et elle l'hôte. Ils entrèrent dans un bureau, Gong Li désigna le téléphone posé et lui adressa quelques mots :
— J'ai tout tenté, à toi de jouer maintenant.
Il acquiesça, prit place et colla le portable à son oreille.
— Monsieur Lewandoski ?
La voix avait un accent sec, asiatique.
— Oui ?
— Chow Leung Ka Fai. Je suis le responsable de la mission CNSA vers Mars. Vous souvenez-vous de moi ?Le CNSA de Wenchang avait longtemps joué le premier rôle des nouvelles puissances spatiales dans les années 2000, dans le sillage de son économie locomotive. Battu sur ce terrain par l'Inde, le pays s'était tourné vers l'Europe afin de partager des technologies et refaire son retard. Alech se souvenait d'avoir déjà croisé son homologue quelques années plus tôt.
— Nous nous sommes rencontrés il y a cinq ans au congrès Saturne de la NASA, si je me souviens bien. Que se passe-t-il ?
— Nous avons reçu la demande d'assistance de vos chefs d'État. Mon gouvernement a souhaité que je prenne contact directement avec vous pour savoir comment nous pouvions vous venir en aide. Gong Li, mon adjointe, m'a indiqué que vous étiez le plus à même de m'indiquer ce que je pourrai faire.Alech resta un instant silencieux, mesurant les implications derrière cette proposition. Il sourit à son amante puis déclara :
— Tout appui pour sauver nos astronautes sera la bienvenue. Nous voulons récupérer nos hommes.
— Comme nous, monsieur Lewandoski. Comme nous.

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Code Rouge
Ciencia FicciónLes grandes puissances sont lancées dans une course pour la conquête de Mars. La fusée européenne Ariane 6 vient de partir et ambitionne d'arriver la première sur la planète rouge. Mais les tensions internationales sont à leur comble. La conquête de...