Jour 205

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Au début, seul des détails attirèrent l'attention : l'accélération brusque des rythmes cardiaques puis l'apaisement de chaque membre de l'équipage d'Ariane, sauf le commandant Boulanger. Ensuite, une brève absence de réponse dans un échange technique par radio, un délai à peine plus long que d'habitude. Pietro guettait le moindre signal. Pourtant, il ne comprenait pas ce qui se passait.

Puis l'alerte s'était déclenchée en pleine nuit. Dans les couloirs du site de Kourou, les ingénieurs s'invectivaient, des gens couraient, d'autres pleuraient. Un nouvel incident risquait de briser la paix. Cette fois, la fusée européenne était responsable.

Retournant les manches de sa chemise, Alech arriva les traits tirés. Depuis des jours, son équipe continuait de travailler avec les autres membres des missions nationales pour calculer la meilleure façon d'aborder la descente vers Mars. Certains pays avaient choisi d'utiliser des modules séparés afin de déchoir sur la planète rouge. Mais l'ESA, comme la CNSA(1), avait opté pour un atterrissage direct qui devait permettre de déposer plus de matériel au sol. Il avait longuement échangé avec Gong Li à ce sujet et se satisfaisait d'une collaboration à venir, qui prolongerait leur temps ensemble.

L'organisation de l'amarsissage obnubilait tellement le Polonais que l'alarme n'avait pas attiré immédiatement son attention. Il avait négligé les briefings avec la navette pour cette raison, malgré les avertissements de Pietro sur le comportement troublant de Boulanger. Son adjoint dut finalement l'extraire de sa salle de réunion, non sans mal. Alech découvrit alors l'horrible vérité.

Ariane 6 avait relancé ses moteurs. C'était anormal. Suicidaire.

Alech se précipita à la salle de contrôle Jupiter. Bousculant deux ingénieurs sur sa route, il s'empara d'un micro et demanda à être mis immédiatement en relation avec la fusée. La télémétrie s'affolait. Le vaisseau coupa ses réacteurs, mais l'impulsion donnée par l'accélération le projetait vers Mars à une vitesse phénoménale. Pietro s'échinait à calculer les conséquences de cet acte fou.

Enfin, le visage du commandant Boulanger apparut sur l'écran. Sanglé à son siège de pilote, concentré, il n'adressa qu'un bref coup d'œil au chef de projet.


— Qu'est-ce que vous foutez, Boulanger ?! s'agaça Lewandoski.

— Commandant Boulanger pour vous. Je nous donne un coup de pouce et je remporte cette course. Voilà tout.


Son calme, sa morgue, sa supériorité outrageaient Alech. Comment un homme aussi intelligent pouvait-il être si inconséquent ? Cet imbécile risquait de tous les tuer, comme il envoyait son équipage à une mort certaine. Un crash sur Mars serait une catastrophe à l'impact difficile à évaluer.


— C'est du suicide ! Si personne ne vous abat, vous allez mourir en vous écrasant.

— Nous verrons. L'équipage n'a pas souhaité me suivre dans cette démarche, mais je prends cette décision en mon âme et conscience. Prenez votre part dans ce succès, Alech, avertissez nos concurrents : Montaigne ne disait-il pas que la plus grande victoire était d'apprendre à un ennemi qu'il ne peut plus vous combattre ?


La colère submergeait Lewandoski. Il pensa à Helena Tosoridis, à Ramon Casalban et espéra que l'un d'eux parviendrait à raisonner ce fou.


— Je vous hais, Éric ! Je vais vous faire avaler un dictionnaire de citations page après page jusqu'à ce que vous étouffiez.

Code RougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant