Jour 195

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L'aéroport de Kourou connaissait sa période creuse : avec l'hiver en approche et une activité touristique réduite autour du centre spatial pour mesure de sécurité, le terminal était presque vide. Quelques autochtones erraient, parfois des étrangers, mais les rangs clairsemés donnaient l'impression d'une grandeur irréelle au bâtiment, alors même qu'il se classerait dans la catégorie « petit camp ».

Installé devant les portes du hall d'arrivée, Alech regardait les panneaux d'information sur les vols. Il venait d'arriver, complètement déphasé par son travail sur le prochain atterrissage sur Mars, oublieux de sa mission de rejoindre l'aérogare, à la fois démotivé par la perspective de s'y rendre et enchanté de revoir sa collègue.

En effet, Gong Li était la représentante chinoise désignée pour venir visiter l'équipe européenne, conformément à l'accord de Washington. Pietro était parti deux semaines plus tôt à Cap Canaveral et devrait revenir dans quatre jours. Bientôt, l'un d'eux devrait aller à Wenchang. Mais pour le moment, il se devait de jouer les hôtes.

La mission d'échange portait tous les espoirs de Lewandoski : travailler ensemble empêcherait les nations de s'entredéchirer. Grâce à son abnégation, avec le soutien de politiciens et de personnes influentes, il avait même réussi à organiser une réunion de représentants de tous les pays en route vers Mars. Celle-ci aurait lieu dans trois semaines et était présentée comme une aspiration à mettre fin à la course, à consolider une situation toujours tendue.

Ce message était difficile à faire comprendre aux astronautes à bord d'Ariane. Vivants en vase clos, sans doute sous la coupe d'un commandant Boulanger plus tranchant que jamais, ils n'avaient pas mesuré l'ampleur du désastre évité. Des images, des dossiers transitèrent entre la base Jupiter et la navette afin de témoigner de cette affaire insensée. Peu à peu éveillés à ce risque, Ramon, Helena et les autres avaient pu discuter avec leurs familles et prendre conscience de toute l'horreur de la réalité. Depuis cet instant, les relations avec l'équipage s'étaient normalisées et Alech appréciait même les retours de Boulanger, dont il ne contestait pas le professionnalisme.

Les portes aux filtres opaques coulissèrent, déversant un mince flot de voyageurs hagards. Gong Li s'avançait en traînant une petite valise à roulettes. Elle le reconnut et se dirigea vers lui. De grosses lunettes de soleil cachaient ses yeux, sa bouche serrée n'exprimait que retenue. Un court imperméable mauve épousait sa silhouette fine.

Lewandoski s'approcha, armé d'un sourire qu'elle ne rendit pas. Pas désarçonné, il la salua.


— Avez-vous fait bon voyage ?

— Horrible.


Rien de plus, voilà qui commençait à merveille. Ils marchèrent en silence vers l'extérieur où le passage de l'air conditionné à la chaleur locale referma un peu plus les traits de Gong Li. Installés en voiture, ils prirent la route de la ville.


— Voulez-vous d'abord vous rendre à votre chambre ? Nous avons un site sur la base qui va vous accueillir.

— Je préférerai visiter vos installations. Il me tarde de découvrir le centre spatial et ses équipements.


Pour la première fois, sa voix exprima autre chose qu'un profond ennui en prononçant ces derniers mots. Alech en fut rassuré : quand arriverait la question du travail, ils trouveraient un terrain de discussion propice.

Le trajet vers Kourou prendrait une petite heure, aussi Alech avait opté pour une jeep du centre spatial, à l'habitacle fermé, afin de bénéficier de la climatisation une nouvelle fois. Il déposa les bagages de Gong Li à l'arrière et lui ouvrit la porte passager avant de se mettre au volant.

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