Ariane quittait la mésosphère quand Alech pénétra dans son bureau, suivi de son adjoint Pietro Donadoni, occupé à compulser les derniers relevés de chaque mission. Le petit Italien ventripotent ne cessait de remonter ses lunettes glissantes sur son nez. Ils assistèrent en quelques heures au lancement de la navette russe, puis de l'américaine, puis de la japonaise et enfin de la chinoise.
Aucun pays n'avait gagné la course contre le temps imposée par l'Inde, première nation à envoyer une mission habitée vers Mars. Les deux Européens pouvaient déjà se gargariser de l'exploit de leur équipe, dont le travail permettait à Ariane de partir en deuxième position.
— Tous les programmes ont tenu leur engagement, confirma Pietro en se servant un verre d'eau. La course est lancée, nous pouvons donc nous réjouir d'avoir participé à la plus grande compétition d'émulation spatiale de l'histoire de l'Humanité.
L'italien ne pouvait s'empêcher de se montrer optimiste et passionné. Petit et calme de nature, il contrebalançait avec efficacité les stressantes obsessions de son patron.
— Je ne me réjouirai que quand ils seront arrivés à bon port. Connecte-nous au réseau, voyons ce qu'en pense le commandant Boulanger.
Assis sur le rebord du bureau, les deux hommes observaient l'écran géant fiché sur le mur. Ils attendaient le contact d'Ariane avec appréhension : le commandant leur avait été imposé par le gouvernement français, principal financeur de l'ESA. Alech Lewandoski entretenait avec lui des relations difficiles.
Quand Éric Boulanger apparut, vêtu de l'uniforme de l'Agence et du bonnet de téflon équipé des écouteurs et du micro, il était solidement arrimé sur son siège. Les secousses se calmèrent un instant avant l'allumage de réacteurs auxiliaires qui agitèrent les astronautes. L'écran se divisa en deux pour afficher les données médicales du commandant. Ses pupilles vertes cherchèrent un temps les responsables de la mission avant de se poser sur eux, inquisiteurs.
— Comment ça se passe ? interrogea Pietro.
— Le décollage s'est déroulé sans incident, répondit le commandant d'une voix grave. Pour le reste, je pense que les astronautes de chaque pays partagent les mêmes rations et les mêmes appréhensions.
C'était précisément les formules définitives – et parfois malheureuses de Boulanger qui agaçaient Alech. Cultivant la contradiction, jeu dont il s'amusait volontiers, le commandant s'illustrait pourtant comme un excellent meneur d'hommes. Il nourrissait une foi inébranlable dans le succès de l'opération et un incroyable rêve qui avait accéléré les préparatifs, tant il savait le communiquer avec force : il ambitionnait d'arriver le premier sur Mars.
Mais le fait de n'avoir pu choisir celui qui occuperait ce poste stratégique laissait au polonais le goût amer de la spoliation de son pouvoir de décision. Pourtant, si la mission échouait, si elle ne devait pas gagner la planète rouge, il devrait rendre des comptes. Et seulement lui.
— Et comment va Casalban ?
Ramon Casalban était le responsable des communications à bord et devrait organiser le lien entre la Terre et Mars, une fois sur place. Alech avait imposé l'espagnol au commandant qui ne l'avait accepté que du bout des lèvres.
— Ah, votre cobaye sur pattes ? Bien. Il n'est pas victime du syndrome des os de verre, si c'est ce qui vous inquiète.
L'italien pouffa, mais son rire fut éteint par le regard sévère d'Alech.
— Comme nous le pressentions, les Japonais sont partis les derniers, informa Alech. Mais la télémétrie de la fusée chinoise est très préoccupante.
— Ils l'ont armée ? demanda Boulanger.
— Nous le craignons. Le poids est anormalement élevé. Nos homologues ont dû faire le même constat, car les présidents américain et russe ont déjà exprimé leur souhait d'une course loyale et sans violence.
Tous trois méditèrent les implications d'une navette armée, un éventuel tir, les possibles conséquences.
— Ce n'est qu'un faisceau de présomptions, précisa Pietro pour briser le silence. Attendons.
— De toute façon, nous n'avons pas le choix, conclut le commandant. Notre objectif reste d'arriver à destination. Je tiendrai ma promesse : je poserai le premier pied de l'homme sur le sol martien.
Chacun approuva d'un signe de tête et ils firent le point sur les horaires des prochains briefings. Puis la communication fut rompue. Alech resta bientôt seul dans son bureau et pensa aux six Européens à bord d'Ariane, à leur courage et à leurs craintes légitimes. Cette mission, une première, se réalisait dans une course peu compatible avec la progression lente et minutieuse de tels projets.
Sur l'écran mural, des caméras captaient l'orbite basse terrestre. Les fusées aux couleurs des diverses nations défilèrent une à une, réorientant leur trajectoire pour filer vers Mars la rouge.
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Code Rouge
Science FictionLes grandes puissances sont lancées dans une course pour la conquête de Mars. La fusée européenne Ariane 6 vient de partir et ambitionne d'arriver la première sur la planète rouge. Mais les tensions internationales sont à leur comble. La conquête de...