Jour 209

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Un vent marin, frais et chargé en sel, balayait la côte de Guyane. La nuit était tombée depuis deux heures, peignant peu à peu le ciel d'un bleu sombre constellé d'étoiles scintillantes. Allongé sur la plage, les vagues échouées sur le sable pour seules partenaires, Alech Lewandoski observait le tableau de l'espace et rêvait.

Chaque goutte de lumière était un soleil se consumant à des milliers d'années de distance. Certains apparaissaient, d'autres s'éteignaient dans l'indifférence, car l'information mettait des centaines d'années à parvenir jusqu'à la Terre. L'étouffement du feu de vie, voilà ce qu'Alech ressentait vis-à-vis de son métier. Sa passion se glaçait alors que la mission Ariane 6 vers Mars devenait un échec.

Malgré les bonnes volontés chinoises et américaines, le centre spatial avait été incapable de contacter ses astronautes. La tempête avait tournoyé au-dessus du site du crash selon le schéma prévu, coupant définitivement les derniers liens entre la navette et son unité de supervision au sol. Le commandant Boulanger et ses coéquipiers étaient morts. Le poids de leur disparition pesait sur les réflexions du chef de projet.

Les mains croisées sous sa tête, il divaguait sur les et si, les erreurs commises, les actes manqués. Sa quête d'explication était vaine. Difficile de s'y résoudre.

Un halo bleu passa au-dessus de lui, donna une teinte étrange aux arbres puis envoya un signal qui se perdit au loin, vers l'horizon et l'océan. Il se retourna. Une jeep approchait, son gyrophare en rotation. Le général McGowan en descendit et le rejoignit.


— Nous vous cherchions. Les familles ont été réunies au centre, comme prévu. Elles vous attendent.


Alech acquiesça de la tête, se leva et vint prendre place à côté de l'officier. Leur voiture fit demi-tour et s'engagea sur la piste au milieu de la jungle. Quelques centaines de mètres et la jeep retrouva la nationale, la base spatiale et ses spots lumineux en ligne de mire. Le vent puissant fouettait les visages et animait la végétation le long de la route.


— Nous avons traversé bien des épreuves ensemble, fit le général en le regardant. Ne vous méprenez pas, vous avez fait ce que vous avez pu. Ne laissez personne vous dire le contraire.

— Ça ne ramènera pas nos morts.

— Mais cela permettra aux autres de vivre. Vous y compris.


Oui, la guerre nucléaire s'éloignait. Oui, le bond technologique réalisé était énorme et conditionnerait sans doute le futur de la conquête spatiale, autant que des progrès sur Terre. Mais le sentiment d'échec étouffait toute satisfaction. Il espérait faire comprendre aux proches des astronautes disparus le déroulement des événements, afin d'être le plus transparent possible. Ce serait sa façon de racheter une partie de ses fautes.

Arrivé au centre spatial, le général l'accompagna jusqu'à la salle où les familles l'attendaient. Une curieuse scène s'y jouait : trois hommes y haranguaient une femme blonde et menue debout devant un enfant, alors que les autres parents se terraient dans un coin sans rien dire.


— Que se passe-t-il ici ? demanda le général de sa voix imposante.


Son ton autoritaire contraignit aussitôt chacun au silence. Les trois individus l'observèrent avec suspicion, mais retinrent leur vindicte en constatant le rang du militaire et son regard dur forgé par les années de service.

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