CINQ | LE GOUDRON

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NYCTALOPES
CHAPITRE CINQ

L'autoroute est silencieuse

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L'autoroute est silencieuse. Les voitures sont laissées là, comme si le temps s'était soudainement arrêté, et que les véhicules s'étaient figés à jamais, restant pour toujours dans cet éternel courant immobile. La poussière les recouvre, on dirait des carcasses de grosses bestioles échouées sur le goudron. Certaines ont les portières ouvertes, d'autres carrément arrachées. Il y en a même qui sont complètement retournées, les vitres explosées, le métal tordu, à cause d'un malheureux accident. Pareilles à des ossatures, les machines se dressent, reines de l'autoroute, dominant les étendues de coaltar qui recouvrent des kilomètres. On les frôle, guettant toujours ce qu'il peut y avoir derrière, trébuchant sur leur débris de fer, jurant quand on se cogne contre un rétroviseur. Les autoroutes peuvent être une véritable mine d'or, des fois plus que les magasins dépouillés. Je n'ai jamais eu l'occasion de faire une chasse sur une autoroute, mais j'ai déjà vu des personnes revenir avec les mains pleines, après une balade entre les voitures.

Je me rappelle des fois où on faisait des grandes distances avec ma famille, avant l'Evénement. On allait voir ma grand-mère, dans le nord du pays, et on passait de longues heures assis dans nos fauteuils miteux, la tête lourde. Le front contre la fenêtre, je faisais ce que tout français faisait lorsqu'il se trouvait dans une situation pareille : soupirer en regardant défiler le paysage. Il devenait intéressant lorsqu'on pénétrait dans une ville, mais les trajets des campagnes étaient exaspérants, avec à nos côtés rien d'autre que d'immenses arbres qui étendaient leurs branches vers les cieux. Je n'ai plus jamais vu une voiture rouler, après l'évènement. À Athéna, certains racontent que ça leur arrive de tomber sur un autre véhicule, un autre survivant, mais encore une fois, c'est quelque chose que l'on ne voit pas très souvent. Si on a de la chance, il doit y avoir un maximum d'une dizaine de camps de survivants dans le pays. Si on admet qu'il y a environ cinquante personnes dans un camp, comme à Athéna, ça nous fait 500 survivants. Si on compte les 400 vagabonds qui tentent de survivre chaque jour en vivant l'enfer, ça nous en fait 900. 900 êtres humains survivants, dans une France qui en comptait 66 millions avant tout ça. Y'aura plus le débat des villes trop peuplées, des banlieues qui grouillent de familles reconstruites. Les parasités ont réglé le problème en moins d'un mois.

Un bruit me fait sursauter, et je me retourne vivement, le canon de ma carabine visant la chose qui fait tout ce boucan. Je le rebaisse immédiatement quand je vois qu'il ne s'agit que de David, qui fait un vacarme pas possible en essayant de grimper sur une voiture. Ses bottes glissent contre la crasse qui recouvre le matériel lisse, ses pas essuient la poussière qui s'était installée dessus, et nous laisse percevoir la vraie surface colorée de l'engin. À plusieurs reprises, il trébuche, enfin, il arrive à se cramponner à un essuie-glace, et parvint à grimper entièrement avant que celui-ci ne lâche.

— Tu fous quoi ? Je m'écris avec peut-être un peu trop d'agressivité, et je regarde sans rien pouvoir faire la frêle ombre de Nick qui le rejoint, et ils sont tous les deux sur le toit de la voiture, le regard baissé sur moi et mon arme que je tiens fort entre mes deux mains.

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