DIX | LES PLAINES

353 58 10
                                    

NYCTALOPES
CHAPITRE 10

Je ne sais pas depuis combien de temps nous avons quitté l'autoroute

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.

Je ne sais pas depuis combien de temps nous avons quitté l'autoroute. Je n'ai même pas vu le soleil faire sa course dans le ciel, on ne s'est pas arrêté. Alarmés par la présence des parasités que nous avions fait venir, on s'était précipités dans la direction opposée sans vraiment réfléchir. Il n'y avait pas de grillage autour de la station-service, juste quelques tables de pique-nique renversées et trois mètres plus loin, le premier sapin émergeait de la terre.

Je m'étais toujours demandé comment ça pouvait être, le cœur d'une forêt des Landes. Je ne savais pas que j'allais le découvrir dans un monde apocalyptique, avec à mes côtés deux vagabonds aussi paumés que moi et une parisienne malchanceuse. Nos bottes crissent sur les épines des sapins qui recouvrent le sol jonché de branches mortes et humides qui sentent la boue et les pommes de pin pourries. Y'a pas que l'humanité qui moisie, sauf que la nature, elle, elle a compris depuis longtemps comment vivre avec tous les parasites qui lui tournent autour. Le seul parasite qu'elle n'a pas su arrêter, c'est l'homme. Peut-être que tout ça, c'est sa manière de nous foutre un coup de pied au cul. Je pense trop. Vaut mieux que je me taise.

On se frotte contre l'écorce des grands arbres, en serpentant entre eux comme des mouches. La seule symphonie qui résonne à nos oreilles est notre essoufflement sans fin, qui se fait de plus en plus profond au fil de nos pas. Camille suit. Elle ne dit pas un mot, et je l'imagine en train de nous jeter tout un tas d'insultes cinglantes dans sa tête. Je serais dans le même état d'esprit qu'elle, si c'était moi qu'on avait faite comme prisonnière.

L'épaisseur de la forêt semble s'affiner, et au loin, je remarque plus de lumière qu'il devrait y en avoir. Par moment, un écureuil ou une autre bestiole gratte les branches, et nous fait frémir de peur. Nick est devant comme meneur, avec sa machette recouverte de sang. Je marche avec David et Camille, le doigt forgé sur la détente de ma précieuse carabine. Par moment, je ne peux m'empêcher de regarder le beau brun. Je lui jette des œillades indiscrètes, pendant les moments que je juge les moins dangereux. Je pense que je ne m'épuiserai jamais de l'admirer.

Au début, je ne le voyais comme rien d'autre qu'un partenaire. Peu à peu, il est devenu un ami. Maintenant, il est toute ma famille, accompagné de Nick. Et contre mon gré, je ne peux retenir ces sentiments qui ne cessent de prendre de plus en plus de place. Des fois, je me surprends à penser à lui trop longtemps. Je me surprends à glisser mon regard où je ne devrais pas. Mais je me dis que de toute manière, je peux mourir demain, alors autant ne pas s'abstenir.

Il relève la tête, et croise mes yeux qui ne quittaient pas sa mâchoire fatiguée. Gêné, il me lance un simple sourire, alors que je sens le sang me monter aux joues. Je fais quelques pas rapides pour rejoindre Nick et rendre ma figure invisible à ses yeux.

À présent, je le vois clairement : la forêt débouche sur une clairière. Elle s'ouvre devant nous comme un océan calme, et ses herbes nous chatouillent les genoux. Même humiliée, je vois bien le petit bondissement que fait le cœur dans la poitrine de Camille. C'est beau.

NyctalopesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant