NYCTALOPES
CHAPITRE DEUXIci, c'est un lieu où on s'active vite. Hugo est de garde jusqu'aux premières lueurs, et bientôt, un autre homme vient le remplacer. Je le connais, et je lui fais un signe de main, auquel il me répond par un sourire. Il a les cheveux bouclés, et les yeux encore fatigués. Ses bras pendent et sa chemise bleue est maladroitement mise ; il a dû quitter son chez-lui en étant pressé. Je descends l'échelle, et alors qu'Hugo prends la route de son foyer pour enfin profiter de quelques heures de repos, je reste de longues minutes, au beau milieu de la route, à contempler ma ville.
Le vent me lèche le visage, et emmêle mes cheveux roux. Je lève les yeux, et admire le ciel nuageux qui est en pleine action au-dessus de moi. À Athéna, on connait presque tout le monde. Nous sommes nombreux, mais nous restons peu. Il y a des jours où nous croisons un autre visage humain de dehors. Des survivants trouvent leur chemin jusqu'à nous, mais ce phénomène ne se produit que très rarement. La dernière fois que nous avions intégré une nouvelle personne, c'était l'année dernière : ça remonte à des lustres. Je ne peux m'empêcher de penser que le monde est mort, et que c'est peut-être nous, qui ne sommes pas à notre place. Ça se trouve, on aurait dû tous crever ou tomber malade, pour participer à cet Évènement qui ressemblait à un jugement dernier de mes couilles. Mais l'homme adore transgresser les lois de maman nature, c'est bien connu.
Chaque jour, des personnes sortent du camp pour aller mener ce qu'on appelle une chasse. Ils récoltent de tout, et ramènent de quoi faire vivre la communauté. Des fois, il suffit d'aller au village d'à côté. D'autres fois, on nous demande de quitter la région. Des fois, certains partent pendant des mois, avant de revenir, souvent victorieux. D'autres fois, personne ne revient. On a apprit à ne plus pleurer.
On les surnomme les courageux, les personnes qui décident de s'aventurer dehors. J'en fais partie, avec les garçons, mais on ne va jamais très loin.
Je regarde deux courageux s'engouffrer derrière l'immense portail qui est la seule porte d'entrée et de sortie d'Athéna. Ils ont chacun un sac-à-dos, et un fusil sur l'épaule. Ils s'exclament en clamant leur au revoir au garde de la plateforme juste devant eux, et celui-ci leur répond en leur souhaitant bonne chance. Vu comme ça, la vie n'a pas l'air si mal. C'est juste l'apparence qu'elle donne. Revenez à trois heures du matin, et vous entendrez chialer toutes les âmes blessées qui n'arrivent pas à dormir pendant les heures sombres. Effrayés par des cauchemars qui leur bouffent le ventre, ils ont la crainte perpétuelle de se faire dévorer par une de ces choses, même dans cet endroit qu'on prétend être si sûr.
Je me mets en route vers les jardins. Les rues sont larges et encore vides : aucun automobile n'est en état de circuler ici. Il doit y avoir quelques voitures garées quelque part derrière les murs, et ce sont les courageux qui les utilisent lors de leurs chasses, quand celles-ci sont longues et importantes.
Le seul bruit qui parvient à mes oreilles est le claquement de ce vulgaire drapeau, qui vole au sommet de l'église du village. Il représente notre campement, avec son textile rouge barré d'une raie noire. Je le trouve moche, mais je pense que les gens d'ici ont bien aimé le concept. Le village englobe une minuscule église, que les croyants fréquentent le dimanche, sans prêtre pour leur faire la messe. Je n'en fais pas partie.
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Nyctalopes
Science FictionNyctalope [n.m.] qui a la capacité de voir mieux dans la pénombre que dans la lumière. Dans un monde peuplé d'êtres cannibales et dangereux, trois adolescents vont se lancer dans le plus périlleux des voyages. Ensembles, ils feront tout pour rest...