QUATORZE | L'HISTOIRE

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NYCTALOPES
CHAPITRE 14

Nous avons quitté l'espace résidentiel depuis déjà longtemps

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Nous avons quitté l'espace résidentiel depuis déjà longtemps. On se contente de bouger vers le nord depuis le petit matin, en évitant les bouffe-merde. On ne parle pas trop, pas autant que quand on venait de quitter Athéna. Je pense que c'est tout le délire avec Camille, ça nous a bien sapé le moral. Maintenant, on erre comme les autres bêtes, en maugréant par moment une petite phrase, une petite histoire, une petite blague.

Est-ce qu'on va vraiment y arriver ? Est-ce que on verra des gens, à Paris ? J'aimerai bien poser ces questions à voix haute. Mais je les garde pour moi, parce que je sais que les seules réponses que je recevrais, c'est des « je sais pas. »

Le temps semble passer plus lentement, quand on réfléchit. À la fin de la matinée, on trouve enfin un panneau qui indique Limoges.

— On le suit, mais quand on voit que y'a trop de maisons, de commerces, on contourne.

David et Nick hochent tous les deux la tête quand j'annonce ça.

On marche à grands pas sur les routes de campagne. Des fois, à travers les pâturages, on aperçoit une maison. Elle se détache du paysage, de la nature. J'imagine qu'il y a un couple à l'intérieur, encore en vie. J'imagine qu'on est dans une région épargnée par la maladie, et qu'ici, il n'y a rien à craindre. On gère une ferme à trois, avec un gros chien et cinq moutons. Puis on a un cheval aussi, un gros, qu'on a acheté à la dernière foire agricole. C'est pratique pour monter la colline du fond, là-bas. Il y a quelques arbres sur le chemin, mais le sommet est dégagé. Quand on y arrive, on arrive à voir la route, son goudron qui tache le paysage, et les grandes étendues d'herbes. J'imagine qu'il y a vraiment des lieux sûrs, malgré tout. Puis j'aperçois un bouffe-merde qui gueule comme un chien mort, et la réalité me rattrape. C'est ça, le nouveau monde. Faut arrêter de rêver.

— Nick, t'étais quoi, avant tout ça ?

La question m'a échappé. J'essaie de me reprendre, et je réfléchis à la raison pour laquelle je l'ai posé. Peut-être que le silence commencer à peser vraiment lourd. Je le vois se raidir, et David relève la tête. C'est la première fois qu'on fait allusion à ce qu'on était avant. Je leur explique souvent que mon sommeil est bouleversé par des rêves qui retracent mon passé, mais jamais, ils me demandent ce que je vois. C'est notre secret, et pourtant, je viens de demander à l'un d'entre eux si il voulait bien me le révéler.

— Je... commence-t-il, et je perçois un soupçon d'hésitation.

— Tu sais, t'es pas obligé de raconter si tu v–

— J'habitais aux alentours de Toulouse. Mon père travaillait en ville, mais nous, on avait une maison un peu plus reculée, dans la banlieue. On prenait le bus pour aller à l'école, moi et mon petit frère... Il n'était pas beaucoup plus jeune que moi, juste deux ans de moins. J'avais des bons amis. On était tous une petite bande, et ce qu'on préférait, c'était aller au cinéma. Il y avait Juliette, Fred, Hugo et Sally. Juliette elle ne venait pas tout le temps, elle venait pratiquement jamais en fait, mais c'était toujours bien de la voir. Quand le monde a commencé à barrer en couille... J'étais avec Sally et Fred. Juliette et Hugo, je ne sais pas ce qu'ils sont devenus. Morts, surement.

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