La Guerre des Clans - Histoire d'un meurtrier

CHAPITRE 7

Nuage de Lion passa la pire nuit de sa vie. Le corps de Beauté Glaciale lui manquait terriblement, il avait besoin de sentir sa chaude fourrure se presser contre la sienne, d'entendre le souffle paisible de sa respiration régulière, et de sentir son parfum si délicieux qui le bercait presque... Mais la toute jeune guerrière accomplissait sa veillée dehors, dans la brise printanière. Bien sûr, l'apprenti gris avait été tenté de se faufiler dehors pour la retrouver, mais il avait été remis à sa place par son mentor qui l'avait aperçu. Il avait vainement essayé de sortir par tous les moyens, jusqu'à ce que Nuage d'Ébène se fâche, agacée par son passage incessant. S'en était ensuivi une violente dispute entre le frère et la sœur. Nuage de Lion avait balancé l'artillerie lourde, ce qu'il était sûr que ça blesserait l'apprentie tigrée. Dans le mille. Les larmes avaient jailli en flots tumultueux qui s'étaient perdus dans l'épais poil sombre. Nuage d'Ébène avait fait la tête la plus triste qu'elle n'eut jamais faite avant de se jeter dans son nid comme une pierre. Étrangement, Nuage de Lion n'avait pas eu l'impression de remporter une bataille. Il regrettait même légèrement ses paroles. Le jeune matou avait fait un étrange rêve où Beauté Glaciale se changeait en arbre, et lui sautait dans l'arbre et le striait de ses marques pour se faire les griffes, jusqu'au moment où du sang ruissela de l'écorce. Il s'était réveillé en sursaut, terrifié, les poils tout dressés sur l'échine. Il s'était par la suite recouché, mais n'avait plus fermé l'œil.

Dès que l'aube pointa, il jaillit littéralement de la tanière des apprentis et voulut se jeter sur sa compagne, mais Beauté Glaciale n'était pas en vue.

"- Elle est partie en patrouille avec Pluie de Lumière, lui apprit Pelage de Foudre qui s'étirait devant sa tanière. J'imagine que tu dois la laisser passer un moment avec son ancien mentor, Nuage de Lion.

- Beauté Glaciale n'a pas dormi de la nuit ! s'insurgea le novice gris sombre. Comment ose t-il la forcer à...

- Mais c'est elle qui le lui a demandé, répondit le guerrier brun tigré au museau blanc.

- Quoi ?

- Nuage de Lion !"

Il pivota. Le gentil museau de Jonquille Fanée venait d'émerger de la tanière des anciens.

"- Si tu allais t'occuper des tiques des anciens ?" lui dit Pelage de Foudre dans un frémissement de moustaches.

Le petit matou maudit le chat tigré et lui adressa un regard venimeux. Mais il ne pouvait ignorer l'air plein d'espoir de l'ancienne dorée tigrée, aussi alla t-il chercher de la bile de souris et de la mousse de mauvaise grâce.

Les cinq anciens étaient roulés en boule dans leur nid de fougère surélevé abrité par le corps d'un arbre centenaire qui s'enroulait autour et par-dessus le nid, ses feuilles naissantes masquant ses habitants. Olive Noire souleva l'une d'elle.

"- Tiens, voici notre héros, ronronna t-elle. Monte, Nuage de Lion."

Le jeune félin banda ses muscles et bondit sur la plateforme de fougères, très digne. Il contempla les cinq vieux chats, effaré. Sa dernière visite remontait donc à si loin pour que Feuille d'Automne semble si âgé ? Avait-il tous ces poils blancs sur son museau, avant ? Et Jonquille Fanée... Son chaleureux visage se plissait comme une pomme trop mûre et son pelage doré tigré avait perdu de son éclat. Les yeux de Patte de Bronze étaient couverts de croûtes. Olive Noire se voulait forte et enjouée, mais le moindre mouvement brusque la faisait grimacer. Quand à Chant de l'Eau, que Nuage de Lion n'avait jamais trop appréciée, elle avait la truffe humide et se grattait frénétiquement l'oreille. Son poil autrefois brillant n'était à présent qu'un tas gris informe.

Le petit mâle eut honte, terriblement honte. Depuis qu'il était apprenti, il n'était pas venu une fois voir ses vieux amis, étant systématiquement sollicité pour les patrouilles. L'un d'eux aurait pu mourir, il l'aurait ignoré. Une boule de tristesse se forma dans sa gorge. Jonquille Fanée avait été la mère aimante qu'il n'avait jamais eue, sa camarade de jeu, sa meilleure amie. Combien de fois s'était-il endormi, le nez enfoui dans son pelage au doux parfum rassurant ? Mais l'ancienne tigrée était aussi la doyenne du Clan, et les lunes commençaient à peser sur ses frêles épaules. Il ignorait son âge, mais savait qu'elle était la mère de Patte de Bronze, qui partageait en ce moment la même tanière qu'elle.