La Guerre des Clans - Histoire d'un meurtrier

CHAPITRE 19

- Dis-moi, fit Plume d'Ébène à son frère alors qu'ils rentraient tranquillement au camp, t'aurais une idée pour rembarrer Cascade d'Argent ?

Elle ne l'avait jamais appelée "maman" et n'allait pas commencer aujourd'hui.

Lion Argenté leva les yeux vers la cime des pins, pensif.

- Personnellement, je l'aurais bien éventrée, mais...

- Moi aussi ! s'exclama la petite guerrière avec tant de vigueur qu'il sursauta. Alors ! On la tue quand ?

Elle reçut un regard blasé.

- Je plaisantais, Plume d'Ébène. On ne peut pas tuer notre mère.

- Ce n'est plus la mienne, elle me l'a clairement fait comprendre, cracha t-elle, amère. Et pourquoi on ne pourrait pas ?

Lion Argenté scruta ses yeux, véritables lacs dorés. Il y décela une noirceur d'âme qui n'égalait que la sienne. Sa sœur lui ressemblait décidément bien plus qu'il ne le pensait.

Voyant qu'il s'abstenait de répondre, Plume d'Ébène grogna et donna un coup de patte dans une pomme de pin.

- De toute façon, t'as toujours été un lâche, tu serais jamais capable de la tuer.

Ce n'était pas comme s'il avait l'habitude de faire l'inverse, mais Lion Argenté agit avant de réfléchir aux conséquences de ses paroles. Il était tellement désireux de montrer à sa sœur à quel point elle se trompait dans son jugement que les mots jaillirent presque immédiatement de sa bouche :

- Figure-toi que j'ai déjà tué quasiment trois chats.

Plume d'Ébène ouvrit des yeux interdits. Un rictus ne tarda pas à apparaître le long de ses lèvres.

- Ah oui ? Qui ça ?

- Pluie de Lumière, Bourrasque Froide, et presque Papillon Bleu.

Impressionnée, la petite guerrière accrocha son regard durant un long moment. Elle finit par susurrer, tout en réduisant en charpie sa pomme de pin :

- Tu ne crois pas que tu me dois quelques explications concernant tout ça ?

Emporté dans sa fierté, le matou gris lui coupa presque la parole, sa hâte fébrile lui faisant hausser la voix :

- C'est bien simple, Pluie de Lumière s'est comporté de manière révoltante avec Beauté Glaciale. Il l'a engrossée, tu te rends compte. Ma propriété à moi ! Il méritait une punition. Son cadavre pourrit vers le territoire des Bipèdes, si tu veux y jeter un œil, ajouta t-il avec une nonchalance tranquille.

Plume d'Ébène, subjuguée par son récit, s'était rapprochée de lui.

- Continue, souffla t-elle, ses vibrisses frôlant les siennes.

- Quant à Papillon Bleu, reprit-il, gonflé d'orgueil, elle s'est montrée sèche avec Petite Goutte, ma fille. Et puis toutes les excuses sont bonnes pour la rabrouer, cette pauvre imbécile. J'ai essayé de profiter d'elle, mais elle m'a frappé, la teigne, alors je n'ai pas pu m'empêcher de lui donner une bonne correction. Elle était à deux griffes de rendre l'âme quand Bourrasque Froide est entré dans l'antre. Il voulait des remèdes pour sa toux. Je ne pouvais pas le laisser me surprendre en flagrant délit, alors j'ai fait retomber l'agression de Papillon Bleu sur son cadavre, faisant jurer à la guérisseuse de supporter ma version dans laquelle elle s'était battue avec Bourrasque Froide et l'avait tué pour sauver sa peau, si elle tenait à la grâce. Tu me trouves toujours trop lâche ?

Il regardait maintenant sa sœur d'un air de défi, le poitrail redressé. Au fur et à mesure qu'il avait parlé, la gravité de ses actes lui était revenue en mémoire, et s'il l'avait balayée comme on balaye une feuille d'un coup de queue, il n'ignorait pas que la probabilité que quelqu'un l'entende n'était pas si infime que cela. Il se refusait à scruter les pins maigres, mais ne pouvait empêcher son oreille de s'agiter brièvement. La petite chatte brun-gris foncé tigrée de noir, elle, ronronnait presque. Ses yeux plissés luisaient au milieu de sa figure ronde.