Chapitre 16

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Allongé sur le côté, Minos regardait Hadès dormir paisiblement. Le juge sourit en se souvenant du jour où son amant avait dit aux jumeaux d'Elysion qu'il n'aurait plus besoin des services d'Hypnos, car il dormait beaucoup mieux depuis qu'il partageait son lit avec le Griffon. Il en avait éprouvé une telle fierté ! Un tel bonheur ! Fier d'avoir surpassé un dieu, heureux que le souverain ait officiellement clamé leur liaison. Il revoyait l'air impassible du dieu du sommeil qui, il en était certain, avait dû se sentir humilier et celui de Thanathos... Ce regard froid, chargé de mépris et de dégoût... Minos eut un pincement au cœur. Le pauvre Morphée avait dû payer chèrement l'affront. Le regard du juge se durcit. Comment avait-il pu être aussi aveugle ? Il n'avait rien vu de ce que subissait son jeune frère d'adoption, alors qu'il s'était juré de les protéger tous les quatre.

Pourquoi avait-il fallu qu'il soit à nouveau si orgueilleux ? Pourquoi cherchait-il toujours à être le meilleur, à surpasser tous ceux qui croisait sa route, fussent-ils des dieux...? À briller aux yeux du monde...? Aux yeux de son père, en laissant une fois de plus derrière lui ses frères et soeur...? Toujours être le plus fort, le plus intelligent, le premier en toute chose. Il n'y pas de place pour les faibles dans l'excellence. Alors peut-être était-ce de sa faute si ses cadets avaient serrés les dents au lieu de lui demander l'aide qu'il était de son devoir de leur apporter.

Oui, aveugle et sourd. Morphée, Mélinoé, Rhadamanthe, ils ont si bien caché leur souffrance qu'il a rien vu. Non, il devait être honnête à présent en priant pour qu'il ne soit pas trop tard. Il avait refusé de voir malgré les signes, parce qu'il... Parce qu'égoïstement il ne voulait pas voir son bonheur entaché de souffrance. Morphée odieusement battu par son oncle sous les yeux indifférent de son père, Mélinoé inlassablement amoureuse de garçons qui avait déjà offert leur cœur et qui soupirait encore d'un amour impossible avec un inébranlable dragon...

Inébranlable ? Rhadamanthe ? Ce fut sans le moindre doute sa plus terrible erreur... Son frère Rhadamanthe lui aussi si fier, si droit... Faisant passer son devoir avant toute chose.... Lui, son aîné qui se targuait de si bien le connaître, aurait dû voir que ce n'était qu'une façade... Une façade qui se fissurait insidieusement à chaque réincarnation. Mais il avait refusé de voir les signes... Car il y en avait eu des signes... Ses sanglots après cette lamentable première fois, la disparition de la dague, sa froide distance alors qu'il prétendait lui avoir pardonné sa dénonciation qui dura jusqu'à ce que Valentine rétabli ne les rejoignent. L'esclave qu'il lui offrit au sixième siècle parce que la Harpie la regardait tristement. Ce voyage en Italie au dix-huitième siècle, c'était le Chypriote qui en rêvait. Rhadamanthe lui s'en fichait. Le tableau qu'il fit photographier pour lui donner l'original malgré le peu de temps qu'ils avaient eu avant le début de cette dernière guerre. Tout cela aurait dû lui mettre la puce à l'oreille. On ne faisait pas ce genre de cadeaux à un simple serviteur, à un subordonné aussi dévoué soit-il.

Et puis surtout, même s'il était prêt à refiler Valentine à Eaque, lui n'avait toujours fait l'amour qu'avec la Harpie en y repensant... En y repensant, il y avait aussi et surtout cette crise de jalousie envers Kanon. Minos soupira. Un léger mouvement, un gémissement à côté de lui le mît en alerte. Il regarda à nouveau Hadès, craignant de l'avoir réveillé. Le dieu aurait dû être à son poste depuis dix bonnes minutes déjà. Mais pour une fois, ils se passeront de lui. Avec toute cette tension accumulée et la discussion difficile qu'il avait eu avec sa fille, son amant avait vraiment besoin de repos. Le Griffon retint son souffle lorsque le dieu bougea...

Fausse alerte, il dormait toujours, un sourire si heureux aux lèvres. Le juge soupira intérieurement cette fois. Au moins son amour, il savait le décoder. Si seulement Rhadamanthe n'avait pas poussé le sens du devoir jusqu'à exécuter son amant... Ou peut-être que cela aussi était un signe de la souffrance qui lézardait impitoyablement sa carapace d'indifférence. Hadès ouvrit les yeux sur son aimé.

La valse des sentimentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant