Félix

1 : Arsenic

À travers les volets en bois une étincelle de lumière éblouissait les iris marron de Félix. Les doigts rugueux, longs et fins de l'adolescent effleuraient les cordes de sa guitare électrique rouge et blanche. Sous ses épaisses Dr. Martens bordeaux, reposaient sur la moquette grisâtre, des nombreux paquets de cigarettes, des places de concerts et des vielles canettes de bière. Sa lampe de chevet aux motifs décadents, propageait une lumière orangée à travers la pièce aux murs noyés de posters.

Le corps maigrichon du guitariste s'écroula sur le bord de son lit aux draps à carreaux rouges et verts. Sa précieuse guitare reposant sur ses genoux de guerre, Félix, attrapa sur sa table de chevet en bois éméché, son paquet de cigarettes vide. Il fit s'échapper de ses lèvres gercées, un grognement et projeta le paquet en carton sur le sol de sa chambre. Il ôta le vinyle du tourne-disques et le glissa dans sa pochette aux nuances vives.

Félix, face au miroir au coin de la pièce, fit glisser sur la moquette grise, son large tee-shirt rouge. Ses sombres pupilles dansaient sur la peau de son corps et ses cheveux bruns légèrement ondulés caressaient sa mâchoire carrée et géométriquement sculptée. Ses épaules étaient carrées, ses longs bras étaient fins et ses poignets bleutés. L'adolescent enfila un large pull en laine marron pour couvrir son corps blanc en pleine croissance.

Son vaste manteau de daim sur son dos courbé, quelques pièces de monnaie et un billet au creux de sa main argentée.

La courte chevelure brune de sa génitrice, cogitait au rythme de son éponge contre l'une des assiettes graisseuses. Courte chevelure ravivée en un chignon plaqué contre sa nuque frêle et humide. Contre ses hanches, s'entrelaçaient, les cordes de son tablier à carreaux roses et blancs.

– Félix ? Tu seras rentré pour le dîner ? S'interrogea, de son ton tremblant, la femme au foyer.

– Non. Renchérit sinistrement l'adolescent, stoppant ses pas flâneurs au seuil de la porte de bois.

La porte claqua en un grincement cru, séparant par l'épaisseur des murs, la mère et le fils Olson. Sous son chapeau melon, l'un des retraités de la petite ville américaine, méprisait de ses pupilles intolérantes, l'adolescent au pull brunâtre. Un rictus au coin des lèvres, Félix, fit ironiquement signe à l'homme dodu, reprenant aussitôt une marche dynamique.

Du bout de ses doigts, le brun, effleurait les murais de briques, le long de son errance. Sous une distance égale aux 100 mètres, Félix replia ses doigts rougis et ensanglantés, contre le creux de sa main veineuse.

Son visage était crispé et ses sourcils, froncés, d'un pas assuré, Félix poussa la porte du tabac au coin de la rue, faisant vibrer la chaine de la pancarte « Ouvert » contre l'épaisse vitre. Sous les néons pourpres, l'adolescent fit glisser ses iris malsaines sur les murs de velours, sur les tables rondes et sur les alcooliques, le cigare en bouche. Une mèche de cheveux tomba devant les yeux de Félix, ce qui ne le fit aucunement sortir de la brume. L'adolescent replaça la mèche noirâtre derrière son oreille, tout en fixant la cible de fléchettes au bout de la pièce.

Un client, acheteur compulsif et dépendant à la nicotine, tourna les talons et poussa la porte de verre, laissant un vide entre l'adolescent tourmenté et le marchand. Derrière sa caisse encombrée de paquets de cigarettes, aux couleurs et designs divers, l'homme aux longs cheveux ondulés et à la moustache parfaitement taillée, gémissait d'impatiente.

– Alors gamin ? Qu'est-ce-que tu viens chercher ici ? S'exclama le marchand au corps rachitique, caché sous une chemise aux rayures verticales, marron et vertes.

Félix détourna le regard de la cible et pencha la tête en direction du comptoir en verre.

– Un paquet de Marlboro. Rétorqua-t-il abruptement, le regard fauve et dominateur.

– T'es pas un peu jeune pour fumer ? Dis-moi, t'es majeur mon p'tit ?

– J'ai l'air d'avoir 30 piges selon toi, mon grand ?

Le trentenaire tenait entre ses longs doigts, un verre de vodka, qu'il finit en une gorgée, avant de plonger la main sous la planche de verre.

– 2.80$, gamin. Annonça-t-il, de son ton sinistre, le paquet de Marlboro face à lui.

Le gamin enfouit ses doigts blessés au fond de sa poche et fit rouler quelques pièces de monnaie sur le comptoir de verre. Il s'empara de son paquet de cigarettes, sous les yeux verdâtres du chevelu.

Une main autour de la barre métallique, un pied sur le carrelage à carreaux noirs et blancs, le second sur la marche de béton et les boucles brunes sous le ciel de 17 heures.

Devant le petit tabac de la rue, Félix fit glisser un bâton de nicotine de son paquet rouge et blanc, entre ses lèvres mi-rosées, mi-gercées. Il tentait d'allumer la flamme de son briquet, tout droit sorti de ses poches, faisant s'irriter et cogiter, les substances abrasives de sa cigarette. La divinité sentit la chaleur de la flamme contre son tabac, le bout du bâtonnet blanc rougit alors. L'adolescent expira un nuage de fumée, un sourire antisocial et excentrique se dessina sur ses lèvres, plongeant sa main gauche dans la poche de sa veste de daim.