6 : Nicotine

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Félix, la paille aux rayures roses entre ses lèvres gercées, sirotait sa grenadine à l'eau, les doigts posés autour de la fine bouteille de verre. Ses pieds gesticulaient sous la table-bar de la cuisine, dans ses converses noires propres et au parfum de lavande. Le gamin mâchait son chewing-gum à la fraise, qu'il avait volé au supermarché, la veille.

Jean-Charles frôlait les dernières marches de l'escalier en bois, un carton dans les bras, avant de faire quelques pas sur la moquette de la cuisine. Il dépose le carton remplit de bandes dessinées sur la table-bar rose, en soupirant, la main contre son front humide et dégoulinant de transpiration.

– Qu'est-ce-que mes BD font dans un carton ? Aboie Félix, les sourcils froncés et la mâchoire crispée.

– C'est la punition de ta mère, mais ne t'inquiète pas, j'ai laissé les meilleurs comics sous ton matelas.

– Je voulais simplement lui faire une petite farce et maintenant mes BD vont se retrouver entre les mains moites des gamins de la ville.

– Évite les farces et tu as de la chance, c'est à Finnegan qu'elle les donne, ta mère pense qu'en lui offrant tes BD, les juifs seront liés aux chrétiens.

– Waouh, quelle bonté !

Jean-Charles sortit un mouchoir en tissu bleu, de la poche de son bermuda à rayures vertes et oranges, épongeant la transpiration sur le haut de son visage. Ses cheveux ondulés et mi-longs caressaient ses larges épaules et sa moustache irritait la peau rosée de ses fines lèvres. Le brun déboutonnait deux de ses boutons de chemise, laissant les quatre premiers boutons verts pommes donner une vue plongeante sur les poils de son torse. Sa chemise bleue électrique était rentrée dans son bermuda coloré et ses manches était retroussée au dessus de son coude.

Le père de famille à la chemise trop serrée, glissa le carton débordant de comics sous son bras, avant de quitter la petite cuisine.

– Va te savonner la bouille, mon p'tit. Chuchote Jean-Charles, à son autre fils, à travers l'étroit couloir.

Le petit brun trainait les pieds jusqu'au seuil de la cuisine rose, ses chaussettes blanches dépassaient de ses bottines bordeaux et sa chemise à carreaux jaunes était rentrée dans son short gris. François déviait son visage fin vers son grand frère assis sur son tabouret métallique et au coussinet de cuir. De son corps engourdit, il lança son gros cartable rouge et bleu au centre de la cuisine, en soupirant.

– Alors ce camping avec les scouts ? Lâche ironiquement Félix, un rictus au coin des lèvres.

– Je ne veux pas en parler. Marmonne François, la bouille lassée et ennuyée.

Les yeux plissés, Félix pouffait, le coude posé sur le bar et la main contre sa joue. Sa langue jouait avec sa paille coincée entre les dents et son jus de grenadine humidifiait son palais.

François traversa la petite cuisine, avant de prendre appuie sur le pieds en métal du tabouret et de s'écrouler sur le coussinet orange. Son bras relativement court attrapa le sachet de pain de mie au coin du plan de travail et le traina sur la table jusqu'à la hauteur du petit. Il plongea son bras dans le sachet plastique et empoigna deux tranches de brioche, en lançant le paquet un peu plus loin.

Les épaules des deux frères Olson se frôlaient, la coupe au bol de François lui chatouillait les oreilles, son épaisse frange lui caressait les sourcils et retombait sur yeux en amande. Le plus jeune frère croquait à pleines dents dans sa tranche de pain de mie, acheté la veille avec les 25% de réduction sur le sachet. Il balançait ses courtes jambes blessées sous la table-bar, en chantonnant une musique qu'il avait entendu dans le car jaune du club des scouts.

Félix regardait les jambes de son frangin s'agiter l'une après l'autre au dessus de la moquette grisâtre. Son short gris s'arrêtait au dessus de ses genoux de guerre, qui étaient bleutés et ses tibias étaient couverts de terre.

– Qui t'as encore frappé ? Souffle Félix, les yeux rivés sur les genoux blessés de son petit frère.

– Personne, cette fois, c'est moi qui ai frappé un autre scout. Marmonne le jeune brun, un bout de brioche sous le palais.

– Tu mens jeune fillette des bois.

– Oh non, je te jure. Renchérit-il, les yeux doux, inclinés vers le second brun.

Félix secoue la tête, un sourire sur les lèvres, avant de les poser sur sa paille et d'aspirer quelques gouttes de sa grenadine à l'eau.

Les parents des deux bruns pénétrèrent dans la cuisine du petit foyer américain, les bras chargés de vêtements en boule.

– Jean-Charles ! Ronchonne Francine, les sourcils froncés. Tu l'as laissé partir au camping avec son cartable d'école, je t'avais pourtant dit de lui préparer son sac de camping. Remonte ton cartable François et arrête de manger des cochonneries.

François laisse échapper un soupire, en attrapant sa tartine dans les mains. Il sautille du tabouret et retombe sur ses jambes écorchées, attrapant de son autre main, l'une des lanières de son cartable.

– Donne-moi cette tartine et on ne traîne pas son sac, ni ses affaires dans cette maison. Marmonne Francine, en plaquant les vêtements dans les bras de son mari.

Elle rattrape son fils par les épaules et pose le cartable rouge et bleu sur le dos de François, en lui arrachant la tranche de brioche des mains.

La salopette en soie d'un vieux vert et aux pattes d'éléphant de Francine, lui retombait sur les chevilles, cachant ses claquettes de caoutchouc blanc. Un ruban de tissu blanc était plaqué sur le haut de son crâne et noué en une cocarde derrière sa nuque. Derrière ses petites lunettes rondes, la mère au foyer suivaient son plus jeune fils des yeux, défilant à travers la cuisine.

Le petit François monte les marches deux par deux, en chantonnant l'air de la musique de l'autocar. Il titube jusqu'au seuil de la porte de sa chambre, posant sa main sur le métal de la poignet ronde et pénètre dans l'obscurité. Il laisse glisser les bretelles de son sac à dos le long de ses bras, sur la moquette et galope jusqu'au fond de la pièce. Il ouvre la grande fenêtre et se penche dans le vide, sur la pointe des pieds, enlevant le crochet noir des volets en bois, peints en vert foncé. Le brun poussa les volets, qui grincèrent et cognèrent contre le mur du premier étage. Un grand sourire se dessinait sur ses fines lèvres rosées et ses yeux sombres se plissaient sous le soleil de midi. Il referme la fenêtre, les jambes tendues, la langue sortant de sa bouche et effleurant ses lèvres.

François sautille sur ses petites chevilles salies et s'écroule sur son lit, le dos droit et les mains sur son short. De la terre logeait sous ses ongles courts et mal coupés. Il incline son visage enfantin, sa bouille d'ange et ses joues rougies, vers son ukulélé en bois clair, l'effleurant du bout de ses doigts. Ses ongles crasseux glissaient sur les quatre cordes de son instrument couché sur les couvertures du lit une personne de l'enfant à la coupe au bol.

Félix pose un pied au sol, empoignant la bouteille en verre de grenadine, puis le second effleure la moquette, avant de s'étendre jusqu'au centre de la cuisine. Il vagabonde jusqu'au salon et s'effondre au fond du canapé face au téléviseur, diffusant les informations, à un son presque inaudible. Le gamin mordille sa paille, triturant le bouton en métal de sa large veste en jeans, sur ses épaules pointues. Il détendait ses muscles, la tête sur le dossier du canapé et les jambes tendues, couvertes par son jogging en soie bleue marine, dont deux lignes blanches longeaient ses jambes, de ses hanches à ses chevilles. Les lacets de ses converses noires étaient défaits et jonchaient le sol du salon à la tapisserie de vieux motifs sur fond marron beige.

Quelques gorgées de grenadine à l'eau coulaient dans la gorge de Félix, avant que la bouteille de verre n'atterrisse sur la table de plastique ovale. Le dos du brun se courbait et Félix pris ses lacets dans ses mains pour les boucler. Il fit une boucle, puis une deuxième, avant de se redresser et de quitter le gros canapé du salon.

Francine et Jean-Charles déposèrent sur le lit, les deux piles de vêtements que la mère de famille avait collecté dans la bourgade américaine, pour les plus démunies de sa paroisse. Francine comptait mettre les tissus à la machine à laver, puis les raccommoder un à un, pour couvrir le dos courbé des sans-abris de la ville. Jean-Charles tapota l'épaule de son épouse, en expirant et quitta la chambre en trainant des pieds.

FélixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant