11 : Naphtylamine

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Les longs doigts de Félix trituraient la matière cartonnée des cartes, qu'il tenait entre ses mains, les yeux plongés dans ceux de son petit frère. Ses doigts n'étaient plus blessés, sa peau n'était plus ensanglantée et les éraflures sur ses phalanges avaient disparu. Il restait silencieux, en retournant ses cartes sur la table basse du salon, le visage incliné sur sa gauche. Un rictus venait creuser ses joues sans couleur, tandis que François soupirait en gigotant et tentait quelques fois de se lever, les jambes en tailleur sous la table ovale.

Mais tu triches, Félix. Balbutie François, en haussant les épaules.

C'est un jeu de cartes, imbécile, on peut pas tricher en jouant à la bataille.

Je suis sûr que tu as regardé les cartes en mélangeant.

François plaque sa petite pile de cartes sur la table, face à la grande pile dans la paume de la main de son frère, qui pouffait, en retournant une autre carte. Il pose ses poings sur le plastique de la table basse et se redresse, pour presque s'y affaler, les genoux au sol et les pupilles braquées dans celles de Félix.

Montre-moi ton jeu. Articule-t-il, en forçant sur ses cordes vocales, pour prendre une voix plus autoritaire.

Il tendait la main vers son frangin, appuyé contre son coude et le ventre sur la table blanche, alors que Félix l'ignorait, les yeux posés sur le sol du salon. Jean-Charles interrompit François, en débarquant dans la pièce, dans son pantalon tâché de graisse, qu'il portait pour tenter de réparer sa mobylette.

Debout Félix, je t'emmène jouer à la pétanque. Beugle Jean-Charles, les mains sur son ventre bedonnant.

Quoi ? Mais c'est toujours moi, pourquoi tu ne prends pas François ? Pleurniche-t-il, en laissant son jeu de cartes s'envoler, la mâchoire contractée et les flammes dans les yeux.

Je compte humilier ce foutu docteur, alors range-moi ce jeu. Grogne le père des deux garçons, en ignorant les paroles de Félix.

Le père de June ? Murmure-t-il, alors que sa mâchoire se décrispait et que les traits de son visage se détendaient. June sera aussi au terrain de pétanque ?

Jean-Charles ne répondit pas à la question posée par Félix, il était trop occupé à fixer son fils se lever d'un bond, le sourire aux lèvres. Son regard le suivait filer du salon pour rejoindre le couloir, les jambes couvertes par son jogging de marque en soie rouge, resserré au niveau des chevilles.

Les semelles crèmes en caoutchouc des baskets blanches du brun, habillées par deux bandes penchées bleues et une bande rouge, écrasaient la moquette de la cuisine. Il empoigne une barre chocolatée dans la boite à gâteaux, rangée dans un des placards et la glisse dans son sac banane rouge et vert, accroché autour de son ventre, avant de retracer ses pas vers le couloir. Il se stoppe devant la pièce envahie de cartons, dont la porte était ouverte et où son père se débattait pour attraper un large blouson bleu électrique. Il tourne les talons et se retrouve face à l'ainé, avant de lui tendre sa grande veste en jeans, avec un seul pin's scotché au niveau de la poitrine. Il pose sa grande main sur l'interrupteur de la pièce et referme la porte derrière lui, en bousculant Félix, pour qu'il se décale de son chemin.

J'ai vu tes cartes, idiot. Rugit François, en se faufilant entre son père et son frère, pour venir s'agripper à la rampe d'escalier.

Bon ok, j'ai triché. Marmonne Félix, alors qu'il enfilait sa veste et triturait son seul et unique pin's du bout des doigts, qui gigotait de droite à gauche.

FélixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant