19 : Monoxyde de Carbone

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La baignoire des Olson était remplie à ras bord au point que l'eau du bain de François débordait et qu'à chacun de ses mouvements l'eau coulait jusque sur la moquette de la salle de bain orange. Son bateau en plastique bougeait tout seul sur la mousse pendant que François jouait avec une pieuvre violette mais surtout pas avec son canard en plastique jaune qu'il avait toujours détesté. Le pauvre canard qui gardait quand même le sourire était posé dans le coin de la baignoire, sans que François n'ait joué avec lui, d'ailleurs le garçon se demandait souvent pourquoi les jouets souriaient toujours et pourquoi les grandes surfaces ne vendaient pas de jouets sans sourire. Actuellement il ne se posait pas la question, il était énervé comme un sauvageon pour encore une bonne heure, comme s'il avait posé son cerveau à côté de la baignoire. D'ailleurs ses parents étaient toujours étonnés de le voir s'éclater dans son bain, parce que oui le mot fait pour lui n'était pas « s'amuser » parce qu'il n'était pas assez fort pour parler de son heure dans le bain, mais réellement « s'éclater ». Et pourtant dieu sait à quel point il est parfois compliqué de l'obliger à prendre son bain le soir après l'école. À propos de cela, Francine allait sûrement le rouspéter pour avoir prit un bain dans la matinée. Toutes les 5 minutes cette information lui revenait on ne sait où puisque que son cerveau attendait encore sagement à côté de la baignoire, peut-être qu'il sautait sur le rebord pour ensuite se remettre à sa place, c'était sûrement possible dans le monde de François. Puis son organe rose pâle repartait comme un voleur de son corps, ce qui faisait que le cadet oubliait vite fait bien fait cette information pour continuer de « s'éclater » avec des jeux un peu trop dépassés pour son âge.

Au lieu d'être raisonnable et de sortir de son bain, François chantait, non, il hurlait les paroles de la chanson I want You Back des Jackson Five de 69 qui était diffusée à la radio. Il attrape son bateau en plastique et le fait foncer sur sa pieuvre pour créer un accident, en imitant les bruitages d'une explosion avec sa bouche. Pouf, la musique du poste radio sur le renfoncement en carrelage de la salle de bain coupe d'un coup et la voix de plusieurs animateurs s'empare de la chaîne radio.

– Roh c'est pas vrai ça ! Soupire le gamin, en lâchant son bateau et sa pieuvre.

Les animateurs n'arrêtaient pas de parler dans la radio et la musique ne revenait pas pour camoufler tout ça, ce qui énervait François, qui devenait une larve à attendre le retour des Jackson Five dans son bain. La pause sonnait comme une alerte pour rappeler au petit garçon qui s'agitait dans l'eau, qu'il était temps de sortir du bain. Alors le cerveau de François reprend son rôle sans autorisation et le petit frère de Félix tourne comme un robot de façon à être en face du robinet en métal. Il se met à chercher son shampoing pour enfant avec des petites voitures parmi les autres bouteilles, une preuve que certaines marques sont prêtes à tout côté design, quitte à ce qu'il n'y ait aucun rapport avec le produit. La fameuse bouteille en plastique de shampoing se cachait derrière tous les produits « badgam » de Francine, qui trouvait toujours les bons plans dans les supermarchés. La femme au foyer allait jusqu'à changer de supermarché toutes les semaines pour se procurer des articles utiles et les moins chers possible. Il n'y avait qu'un seul supermarché dans la petite ville, accompagné de quelques mini-commerces comme par exemple les supérettes et les épiceries, alors certaines fois Francine faisait ses courses dans le supermarché de la ville d'à côté.

Si ce n'était pas le jour de Félix, ce n'était pas non plus le jour de François, et cela ne faisait que commencer, il n'était que 11h du matin et la journée risquait d'être longue. Sa bouteille de shampoing qui sentait la fraise était complétement vide et comme par hasard le seul produit qui lui appartenait dans la salle de bain était vide, d'après lui, ça ne pouvait pas tomber sur Félix, il avait trop de chance pour ça. Alors comme toujours il allait devoir improviser pour ne pas avoir une touffe de cheveux dégoutante qui en ferait frissonner plus d'un. Le cadet projète sa bouteille de shampoing dans les airs et sans aucune surprise elle rebondit dans la bassine de vomi à côté du lavabo. François ne prenait pas le temps de s'en inquiéter, une bêtise de plus pour aujourd'hui n'allait pas changer sa vie, du moins c'était ce qu'il imaginait dans sa petite tête de crapule. Ses petits yeux marrons tombent directement sur une grande bouteille rectangulaire de shampoing retournée dans le bac métallique des gels douches et shampoings du foyer Olson. Ses touts petits doigts qui ressemblent plus à des doigts d'un enfant de 5 ans qu'à un enfant de 9 ans, entourent la bouteille de Francine, dévissent le bouchon en plastique gris et la ramènent sous le nez de François. Il trouvait que le liquide vert clair qui l'avait tout de suite attiré, sentait bon la pomme et il se disait qu'il venait de trouver son bonheur, même si son papa répétait souvent que les garçons ne devaient pas utiliser les « produits de filles ». François voulait être comme son grand frère, il ne voulait pas toujours respecter les règles que lui imposaient ses parents et les autres adultes de la ville. Voilà un beau projet comme lui dirait sûrement Jean-Charles, lui qui était toujours un enfant, un gamin de 50 ans qui faisait encore des courses de cadis avec ses fils dans les supermarchés.

FélixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant