18 : Benzopyrène

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La jambe gauche de Francine tremblotait sur le carrelage en mosaïque de l'église et ses yeux fixaient sa montre en faux cuir marron. Il était 10h du matin, les chrétiens de la ville s'installaient encore sur les rangées de bancs en bois, sans trop faire de bruit pour le respect des lieux. Francine avait les yeux braqués sur l'entrée de la petite église de la ville, où quelques familles poireautaient pour plonger le bout de leurs doigts dans le bassin d'eau bénite. Son regard tombe sur le sol et son stress grandit en ne voyant pas le reste de sa famille arriver.

Elle se tourne vers le chœur de l'église, les mains entrelacées sur sa jupe verte et son dos claque contre le dossier du banc, sur lequel ses fesses s'emmitouflent dans le fond.

Je n'aurais jamais dû les laisser aller à ce concert, en plus de ça François est tombé malade, c'est vraiment le pompon. Marmonne la mère au foyer, en jouant avec son alliance.

Arrêtez de vous inquiéter, ils vont arriver d'une minute à l'autre. La rassure Bérengère, en tapotant son épaule.

Francine était venue à la messe du dimanche matin accompagnée de madame Sanders, qui avait bien voulu utiliser sa voiture des années 50, elle qui avait toujours été une conductrice prudente et une collectionneuse de belles voitures de son époque. La retraitée avait beau vivre dans l'une des rues les moins riches de la bourgade, elle n'était pas pauvre pour autant, au contraire, elle voulait simplement vivre de façon noble, puis Bérengère aimait bien les petites maisons de la rue qu'elle côtoyait depuis plus de 30 ans. La plus part des habitants de la bourgade lui donnait l'étiquette de la commère ingrate, parce que bien entendu toutes les femmes de leur coin avaient une étiquette. Certaines ont l'étiquette de la bourgeoise, de la sportive, de la femme d'affaires, de la courageuse ou encore de la péteuse, de la cocue, de la femme au foyer alias la débordée et bien souvent de la commère. Mais les hommes ont également le droit à des étiquettes, comme Jean-Charles et son étiquette du bon à rien, bien qu'il soit un charpentier qui ne refuse jamais les urgences téléphoniques de ses voisins en plein jour férié.

Ces étiquettes sont parfois trompeuses ou exagérées, dans le cas de madame Sanders, la sienne est venue se coller sur son front après le départ de son mari de la maison, comme si sa vie n'avait plus d'intérêt sans un homme dans sa vie. Alors son statut est de baver dans le dos de ses amies et de répandre des rumeurs sur les autres foyers. Mais avant d'être la méchante et d'être celle qui vous rit au nez, Bérengère aimait les voitures de collection et les courses de voitures, voire tout ce qui comportait un moteur, comme les avions. Dans sa jeunesse, à ses 20 ans, lorsqu'elle était encore jolie comme un cœur et que ses longs cheveux blonds volaient à l'air, elle était passionnait par les avions, elles aurait voulu être pilote d'avion ou pilote automobile, peut-être même hôtesse de l'air pour se sentir constamment vivante. Malheureusement pour elle, dans ce milieu les femmes n'étaient pas vraiment acceptées, sauf en temps de guerre et seul son ami Paul qui avait un hangar la laissait piloter son petit avion aéronef rouge, alors madame Sanders est devenue hôtesse de l'air, qui était le métier en bas de sa liste des métiers de rêve. Puis un jour elle a rencontré son mari à une course de voiture et ils ont tous les deux arrêté leur métier pour s'installer loin de la célébrité. Étant pilote automobile et blindé jusqu'aux os, c'était facile pour lui de tout quitter pour vivre avec Bérengère, mais c'était également facile de la quitter après toutes ces années de mariage, lorsque Félix faisait encore pipi au lit et que François était dans le ventre de sa mère.

Jean-Charles cherchait sa deuxième chaussure classe qu'il portait exceptionnellement pour les grandes occasions y compris la messe et grognait « Où est cette putain de pompe ? » dans toutes les pièces du rez-de-chaussé. Il sautait à cloche pied dans le couloir, en s'énervant et comptait attraper le téléphone sur le plan de travail en marbre de la cuisine, avant que sa chaussure cirée ne soit balancée du haut des escaliers. Le bougre fait un tour sur lui-même, en se tenant sur le mur en papier peint de l'arche qui relie la cuisine au couloir et lâche un soupir à 1 ou 2 mètres de la première marche en bois des escaliers.

FélixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant