Comme tous les matins, l'entrepôt de primeurs bourdonnait comme une ruche. Les chariots élévateurs slalomaient autour des commis qui traînaient des transpalettes, entre les obstacles fixes et les autres mouvants, ainsi qu'au raz des « touristes » absorbés par leurs vérifications ou leurs décomptes des chargements. L'irruption des trois véhicules de police gyrophares en batterie passa quasi inaperçue au cœur de cette effervescence. Une dizaine d'individus encagoulés en giclèrent, drapés dans des combinaisons uniformément noires, pour investir les bureaux.

Le directeur de la société considéra le commando armé d'un œil éberlué, à mille lieues d'imaginer les raisons de cette invasion. La « Caméra Invisible » ? Les amis qui lui faisaient une blague ?

Pierrot n'eut guère le loisir de s'interroger longuement. Un quatuor d'individus quasi hystériques s'abattit sur lui, l'écrasa sur le bureau pour le menotter dans le dos, puis le transporta en poids -une performance qui laissait le rouquin encore plus interloqué que le kidnapping en soi- jusqu'à un monospace où il fut proprement propulsé et tassé sur la moquette par une demi douzaine de rangers trépidantes.

Restée seule, abasourdie par la brutalité de l'intervention, la secrétaire de direction s'offrit les prémices d'une crise de nerfs. Signe avant-coureur d'une psychothérapie de plusieurs mois. Sur le champ, et avant de tendre les bras à la camisole, elle trouva quand même plus opportun de tomber dans les pommes.

*

Kiki franchit le portail de l'immeuble en halant un transpalette vide. Il fit virevolter l'appareil avant de le pousser habilement sur l'élévateur de son camion. Une pile de cagettes de fruits en charge, il entama le parcours inverse. Le haillon élévateur à peine au contact de l'asphalte il crut à un séisme. Soulevé du sol comme un vulgaire fétu, il se retrouva tête la première plongé dans son chargement. A peine avait-il réalisé la réalité physique de sa plongée dans l'utérus visqueux d'un univers fleurant le melon qu'une traction égale en violence lui faisait accomplir l'envolée inverse.

- Bande de pédés, qu'est-ce que.... ?

Un coup de crosse de fusil dans les côtes lui coupa le souffle. Il se retrouva enfourné sans ménagement dans une espèce de malle obscure. Rideau !

*

Dans le canapé du salon, Désiré avait entamé le galop final sensé catapulter vers des cieux inexplorés la jeune veuve qui ahanait sous lui. Concentré sur son objectif il s'ingéniait à conserver la tête froide pendant les quelques ultimes secondes du compte à rebours quand un bruit épouvantable atomisa le pas de tir. Même pas le temps de relever la tête pour vérifier l'origine du vacarme. Son corps luisant de sueur valsa du canapé jusqu'à la table du salon où, le temps d'un rebond, une paire de singuliers bracelets lui entrava les poignets. Remis sur pieds d'une secousse à le transformer en manchot, il fut entraîné vers la sortie manu militari, sans égard pour sa virilité en déconfiture.

Montre en main, la scène avait dû durer moins d'une minute.

*

* *

Souriant derrière son comptoir, Djelloul achevait de servir une cliente âgée avec son affabilité habituelle. Ses blagues avaient beau être lourdes, usées jusqu'à la corde, elles contribuaient pour beaucoup aux attraits du commerce de proximité où le vendeur connaissait chaque client par son nom, ou presque. Le visage des deux clients qui patientaient derrière la vieille madame Mercier lui étaient totalement inconnus, par contre.

- Voilà, pour vous gentille dame !... Et pour ces messieurs, ce sera ?

- Cinq kilos d'oranges. Des belles ! Précisa le plus âgé des deux.

- Je n'ai que de la belle marchandise, messieurs. Comme vous pouvez le constater !

Djé contourna le comptoir pour se pencher au dessus de la cagette.

A peine ses mains s'étaient-elles posées sur les fruits, que le contact glacé de l'acier sur la base de son crâne lui provoqua une chair de poule sur tout le corps.

- Bouge pas, l'Arbi ! Tu clignes seulement des yeux, t'en prends une dans la théière !

*

Le long couloir-salle d'attente du Palais de Justice était peint de ce sinistre jaune pisseux qui semble avoir été composé à l'usage exclusif des administrations. Séparés les uns des autres par les membres de leur escorte, avec interdiction de seulement échanger un regard, le quatuor d'amis mal remis de ces interpellations n'en menait pas large. Le plus agité restait Kiki. Sous l'œil indifférent des pandores, le bougre enchaînait les grimaces les plus spectaculaires pour tenter de décoller les grains de melon qui lui criblaient le visage.

En bout de couloir, le cabinet d'un juge d'instruction.

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Les Ch'tis braqueursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant