Le taxi traversa le quartier ouvrier à bonne allure pour ralentir à l'entrée de la banlieue résidentielle. Les barrières métalliques dressées devant l'édifice s'apercevaient de loin. Surtout grâce aux lambeaux de rubalise blanc et rouge que le vent agitait, évoquant les flammes du sinistre.

- Ben !... Si c'est là que vous comptiez faire vos courses... Articula le chauffeur de taxi d'un ton perplexe.

Désiré qui se trouvait à l'avant régla la course comme un automate tandis que les trois passagers arrière, hébétés, allaient se planter face au décor lugubre, se serrant instinctivement les uns contre les autres en quête de réconfort. De l'établissement proprement dit ne subsistait que la façade blanche aux embrasures goudronnées par les fumées d'incendie. La toiture s'était volatilisée et de l'enseigne joyeusement tarabiscotée il ne restait qu'une infime partie non brûlée. Un « artiste » d'un genre particulier avait tagué une partie épargnée du mur à la bombe aérosol ; « Retourne dans ta jongle. Négrots ».

- Déjà qu'on a interdiction de s'approcher de chez Pierrot au risque de se faire tirer dessus par la marée chiassée !... Manquerait plus que la mechta de Djé soit cramée aussi et nous v'là quittes pour dormir sous les ponts ! Déclama Kiki.

Le crochet du gauche de Djé qui l'atteignit à l'épaule l'envoya dinguer à plusieurs mètres.

- Y va la fermer sa gueule, cet oiseau de mauvaise figure ! Grommela le Maghrébin.

- On dit pas figure. On dit augure. Un oiseau de mauvais augure, prononça machinalement Désiré, d'une voix traînante évoquant celle d'un automate.

- Figure ou augure, c'est pas çà qui lui fera la tronche plus belle à cette face de pet foireux ! Il est fichu de nous porter la scoumoune, ce con ! Râla encore Djé.

- Y m'a cassé l'épaule, cet abruti ! Couinait Kiki.

- Ouais, ben ta gueule ! Imagines si je te botte le cul, maintenant !

Pierrot secouait la tête d'un air incrédule, incapable d'assimiler la réalité du désastre. Désiré lui tapota l'épaule pour le réconforter.

- Ben ! Nous voilà tous les deux dans de sales draps, mon poto !

- Des draps, y'en a même pu !... Bon ! Pusque ch'peux pu aller à m'barraque, j'vas aller vire ém'n'avocat pour qui aille ker l'auto et des habits. On se r'trouvera chez Djelloul. ( Puisque je ne peux plus aller chez moi, je vais aller chez mon avocat pour qu'il aille récupérer ma voiture et mes habits)

- Pas question ! On ne se quitte plus ! Rétorqua Djé avec véhémence.

*

Oiseau de mauvais augure ou pas, Kiki avait deviné juste. Si le commerce de Djé était moins sinistré que celui de Désiré, des vandales déchaînés l'avaient quand même sérieusement ruiné. Les éclats de la vitrine jonchaient le trottoir en tas épais. Le coup de bélier qui avait défoncé la porte métallique latérale l'avait laissée pliée en son milieu. Des tags plus orduriers les uns que les autres maculaient le volet arraché du garage et les parties brûlées laissaient entrevoir la calandre de la voiture incendiée. Sur la partie haute de porte d'entrée, un panneau avait été grossièrement cloué en remplacement de la vitre cassée, mais d'autres mains moins bien intentionnées l'avaient arraché. Il pendait de guingois, maintenu par un seul clou. L'appui providentiel du mur l'empêchait de tomber.

Le quatuor s'éloigna du 4x4 Toyota de Pierrot pour s'approcher, abasourdi. Sonné, Djé avait machinalement sorti un trousseau de sa poche pour ouvrir, mais il ne trouva plus de serrure dans laquelle enfoncer sa clef. Il suffisait de pousser le vantail pour pénétrer dans ce qui fut une coquette épicerie. Une première vague de malotrus avaient saccagé les rayons à en croire les dizaines de kilos de pâtes variées qui jonchaient le sol, crépitant sous la semelle des visiteurs. Une seconde vague plus pragmatique avait carrément pillé le reste des étagères et les frigos. Même les tubes néon des comptoirs frigorifiques s'étaient volatilisés.

Les Ch'tis braqueursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant