Partie sans titre 15

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Prétendre que les retrouvailles se passèrent dans l'euphorie serait abusif. A l'annonce de la disparition de leur second pactole, Kiki faillit tout bonnement passer l'arme à gauche. Ranimé à l'aide d'une demi bouteille de Cognac, il resta prostré vingt quatre heures d'affilé, incapable de prononcer un mot. En fait, ce fut l'habituelle discrétion de Pierrot qui sauva l'équipe d'un probable éclatement. Pour tous, se restaurer comme faire le plein du véhicule s'inscrivait à la liste des tâches indispensables. Quant au récit de l'incendie démarré dans le tableau de bord, s'il fut en tous points conforme à la réalité, c'est l'entassement excessif des billets que Pierrot invoqua comme raison du sinistre. Faute collective ou faute à pas de chance, chacun pouvait y trouver son compte. A quoi bon chercher un coupable là où il ne pouvait y en avoir ?

Planté les bras croisés face à la baie vitrée, Désiré contemplait les ébats de la ménagerie qui déambulait paresseusement au soleil. A l'exception du Briard toujours occupé à courser l'infatigable lapin nain des voisins. Nini vint interrompre sa rêverie en lui touchant le bras d'un geste tendre. Le regard qu'il posa sur elle dégoulinait d'amertume.

- Ils ne s'arrêtent vraiment jamais, ces deux là, hein ?

- Non. Ils adorent jouer. Et tu ferais bien de les imiter. Ca sert à quoi de te tourmenter ? Les billets, c'est la voiture qui les a brûlés, Désiré. Ca n'est pas comme si tu les avais flambés au jeu. Personne ne peut t'en vouloir. D'ailleurs, personne ne t'en veut !

- Tu parles !... Prendre des risques insensés pour en arriver où, dis-moi ?

- Plaie d'argent n'est pas mortelle ! Et puis, je ne suis quand même pas au RMI, que je sache ! Si je n'ai pas assez d'argent pour aller fonder mon groupe scolaire aux Caraïbes avec le seul prix de la vente de ma maison, je peux quand même me permettre de vous héberger quelques temps.

- Tu es adorable, dit-il en posant la main sur celle de Nini.

- Aimée suffirait à mon bonheur, minauda-t-elle sur ce ton léger qui ne permettait jamais de savoir si elle exprimait une pensée profonde ou si elle tournait le sujet en dérision.

Désiré se pencha et l'embrassa avec affection sur le sommet de la tête. Elle écarquilla les yeux, leva les bras, entama quelques pas de flamenco en claquant des doigts, puis fila vers la cuisine.

- Je sens que je vais offrir à mon cousin la teuf dont il rêvait, moi !

Ne fusse le mobilier sur mesure dont elle s'était offert le « luxe », abstraction faite de son caractère fonctionnel, Nini voyait les choses en grand dès lors qu'il s'agissait du plaisir des autres. Son barbecue « entre amis » s'imposa sans complexe entre la garden-party politicienne et le pince-fesses rupin dès que le passage au crible de son agenda lui permit de dénicher des cavalières s'accordant au profil de ses invités. Même le couple de vieux voisins fut de la fête. Enfin, le temps pour eux de déguster la palette de punchs réalisés par Désiré sur fond de nostalgie tropicale ; tous deux avaient exercé en tant que professeurs coloniaux de Madagascar à la Nouvelle Calédonie. Ils véhiculaient un plein camion de souvenirs exotiques dont ils firent profiter l'assemblée. Du moins, tant que la maîtrise de leur diction le leur permit. Désiré n'avait pas lésiné sur le rhum blanc !

La jeune femme pressentie comme cavalière pour le Martiniquais dû se sentir frustrée car celui-ci n'abandonnait les deux barbecues fumants que pour se consacrer à la maîtresse de maison. Idem pour Dorothée, une sémillante quadra qui eut le tort de venir accompagnée de son adolescente de fille dotée d'une sensibilité plus en rapport avec celle de Kiki.

Les Ch'tis braqueursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant