Partie sans titre 10

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Dans le bistrot tranquille de la Grand-Place de Saint Amand, l'arrivée du quatuor plomba l'atmosphère. Tandis que Djé et Pierrot entrainaient Désiré vers l'une des tables les plus éloignées de l'entrée, cherchant les arguments susceptibles de le calmer, Kiki s'installa à celle la plus proche de la vitrine. Le bottin récupéré sur le comptoir, il se mit en devoir d'en feuilleter les pages. Moralement, il conservait cependant les pieds dans des starting-blocks imaginaires, prêt à jaillir vers la sortie au moindre signe de menace. Le regard des quelques consommateurs paisibles ainsi que celui du patron rebondissait d'une table à l'autre, comme ceux des spectateurs d'un match de tennis.

Deux fois éjecté de chez une maîtresse aux petits soins à quelques jours d'intervalle, et pour ce même absurde motif de zoophobie compulsive, les envies de meurtre du Martiniqueur se trouvaient justifiées aux yeux de ses amis. Kiki l'avait bien réalisé. Même avant la rafale de claques que Djé lui asséna sur l'arrière du crâne. Et c'est la cette raison pour laquelle il cherchait avec autant d'empressement la trace d'une cousine perdue de vue depuis longtemps. Abrité des regards assassins de Désiré par l'angle du comptoir, le Manouche interpella le bistrotier, à tout hasard.

- Un prof de philo dans cette ville ? Mon pauvre ! Avec un lycée, trois collèges et je ne sais combien d'écoles, des profs, ça n'est pas ce qui manque le plus en ville !

- C'est une femme de petite taille, insista Kiki en tendant la main à l'horizontal, à un bon mètre du sol. Blonde...

Le regard soudain effaré de deux clients accoudés au comptoir mit un terme brutal à ses explications. Le plus âgés se frotta énergiquement la tête à travers l'étoffe de son béret, comme pour effacer de son souvenir un épisode éprouvant.

- Ché Guévarette, lâcha-t-il dans un souffle, éclusant aussitôt la moitié de son demi pour se réhydrater la bouche après ce cuisant aveu.

- Guévarette ? Bafouilla Kiki, perplexe.

- Non, pas Guévarette. J'ai dit Ché Guévarette. Ché Ché Guévarette, si te préfères. Ché comme cha qu'on l'appelle par ichi.

- Ah ! Fit Kiki. Vous la connaissez, alors ?

- Qui ché qui ne l'conno pas ! S'exclama l'ancêtre. Quand elle est d'sortie avec s'fusée jaune, même ché flics y s'mettent à couvert !

Kiki tourna un regard interrogateur vers le patron au visage fendu d'un sourire amusé.

- Elle conduit une voiture de sport que ses amis de l'Ecole des Mines ont faite à sa taille. Un vrai bolide. Elle pilote çà comme une dingue !

- Vous ne sauriez pas où elle habite, des fois ?

- Mais si ! C'est pas très loin des thermes. C'est l'une des deux propriétés jumelles voisines de l'ancienne villa Carmen. La première en arrivant du centre ville. Vous ne pourrez pas vous tromper, y'a plein d'animaux qui batifolent sur les pelouses à l'arrière. Un vrai zoo.

L'évocation de la ménagerie fit blêmir Kiki. Il remercia cependant de la tête et jugea le moment opportun pour offrir une tournée générale. Sa curieuse façon de se déplacer de guingois, prêt à prendre la poudre d'escampette au moindre signe d'agressivité arracha un sourire à Djé. Mais Désiré détourna la tête à son approche.

- Voilà ! J'ai trouvé où crèche ma cousine. Tu me conduis, Pierrot, ou tu me prêtes les clefs ?

- Prêter les clefs ! Persifla Désiré. Ce coup-ci, en plus de dormir à la belle étoile on y gagne à coup sûr un statut de marathoniens !

Les Ch'tis braqueursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant